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Une interview de Bernard Hervet, Directeur du Festival Musique et vin au Clos Vougeot – Plaisirs alliés ; émotions partagées

Bernard Hervet fait partie des quelques-uns qui ont la chance de vivre de leurs passions. Passion du vin, passion de la musique. En vivre et les faire vivre, car il transcende ses deux amours par le partage. Ainsi a-t-il créé en 2007-2008 avec Auber de Villaine - cohéritier et cogérant du domaine de la Romanée-conti de Vosne-Romanée - le Festival Musique et vin au Clos Vougeot. La 8ème édition se déroule du 20 au 28 juin prochain et accueille des interprètes tels que Yo Yo Ma, Angelika Kirchschlager ou Gautier Capuçon. Bernard Hervet dirige une manifestation dont Auber de Villaine occupe la présidence. Il y a chez lui un mélange frappant d’assurance et de retenue. Au-delà de la passion, il pèse ses mots, en homme qui sait que la jouissance du vin ou de la musique est non seulement une émotion, mais aussi une longue expérimentation, complexe et exigeante…
« Ma passion de la musique, se souvient-il, est née il y a bien longtemps, durant mon adolescence. Un ami de lycée m’a fait découvrir Chopin. Cela a été une révélation, j’ai su immédiatement que c’était pour moi ! Malheureusement, mes parents, par tradition et de façon très formelle, ont fait apprendre la musique à ma sœur, parce qu’elle était fille. Moi qui étais le garçon, j’étais voué à d’autres activités… Ma passion pour la musique est peut-être née de cette grande frustration. »
 
La musique est donc arrivée dans votre vie avant le vin ?
 
Bernard HERVET : Non, en même temps, peut-être est-ce pour cela que les deux sont intimement liés dans la vie. J’ai commencé à travailler très jeune dans un hôtel Relais & Châteaux. J’y faisais un peu tout, même la plonge, etc. C’est là que j’ai découvert la Bourgogne et que j’ai eu la chance que quelqu’un me fasse découvrir ses vins. Ma première expérience du vin, je l’ai donc faite avec des Vosne-Romanée, des Côte de Nuits ! Être ainsi initié en goûtant l’absolu des vins de Bourgogne, cela m’a tout de suite forgé un palais assez exigeant. Ensuite, la route a été tracée pour moi grâce à des études croisées de gestion et d’œnologie. Les deux ont fini par s’harmoniser lorsque je suis devenu un professionnel du vin.
 
Vous voyagez beaucoup pour votre travail. Ce sont tous ces voyages, bien sûr, qui vous ont permis de découvrir à la fois musiques et lieux musicaux à travers le monde ?
 
B.H. : Oui, mon travail consistait à courir le monde pour valoriser l’image des grands vins de Bourgogne. J’en ai profité pour découvrir, dans le même temps, la richesse des musiciens et des grandes salles du monde entier. J’ai toujours aimé lier la vigne à la culture. Je l’ai fait tout d’abord en étant longtemps Président du Conseil d’Orientation de la Chaire Unesco Vigne et Tradition du Vin, puis plus encore avec la création en 2007-2008 du festival Musique et vin au Clos Vougeot. Ces voyages et les nombreuses rencontres qu’ils ont rendues possibles, m’ont offert la chance de créer un réseau de musiciens amoureux du vin. Au Japon par exemple, il existe une salle merveilleuse, le Suntory Hall, elle appartient à une grande société productrice de vins et de spiritueux. Suntory est l’une des plus grandes sociétés importatrices de vin au monde. C’est l’un des lieux qui m’a permis de tisser des liens avec de nombreux artistes.
 
Comment, en 2007, vous est-il venu l’idée de créer avec Auber de Villaine le Festival Musique et vin au Clos Vougeot ?
 
B.H. : J’avais cette idée d’allier vin, gastronomie, culture et musique depuis longtemps. J’avais déjà créé des événements de ce type lorsque j’étais Directeur Général de la maison Bouchard Père et Fils et des Chablis William Fèvre. Mais à l’époque, je n’avais pas de lieux s’accordant parfaitement à ce type de projet. Puis, un jour, à New York, en compagnie de David Chan, le premier violon du Metropolitan Opera, nous avons commencé à rêver ensemble à l’idée, très modeste au départ, de rassembler des amis pour créer une sorte de club de vignerons amateurs de musique et de musiciens amateurs de vins. Pour le premier concert, nous étions cent ! Des amis et des relations proches. David Chan et sa femme Catherine Ro, altiste au Metropolitan Opera, ont joué pour nous tous. Nous avons immédiatement senti que quelque chose se passait, un bonheur partagé, venu de cette « dégustation » conjointe de musique et de vins. Cela nous a donné l’envie d’un projet plus ambitieux. C’est ainsi qu’en 2008, sans argent mais pragmatiques, nous avons saisi l’occasion de la présence des solistes du Met au festival de Verbier début juillet et décidé de programmer notre premier festival avec eux, fin juin, juste avant Verbier. Voilà comment cela a modestement démarré, pour prendre ensuite, année après année, un beaucoup plus grand essor puisque, pour l’édition 2015, nous avons des musiciens telq que Yo Yo Ma, Gautier Capuçon, Jean-Yves Thibaudet, Angelika Kirchschlager, Marlis Petersen, Maurizio Benini, les Musiciens de la Philharmonie de Vienne, etc.
 
Ce festival, c’est un esprit, mais c’est aussi un « décor « géographique et vinicole. Pouvez-vous nous en décrire les lieux et paysages ?
 
B.H. : Le Clos Vougeot – cinquante hectares de vignes entourées d’un mur - symbolise la Bourgogne. Le château du Clos Vougeot a été bâti par les moines cisterciens dont c’était à l’origine la cuverie. Dès le XIe siècle, ils ont commencé à produire un grand vin dans ces lieux en bâtissant un modèle de cuverie cistercienne : très simple, de formes et de volumes parfaitement adaptés au vin. Il y a eu des modifications à la Renaissance. Aujourd’hui, ce lieu continue à remplir sa fonction à la perfection. De plus, on y est très à l’aise pour y écouter de la musique. Dans le cellier qui abritait autrefois de nombreuses barriques de vin, on fait de la musique de chambre. Lorsque le temps le permet, l’on peut assister, dans la cour du Château, aux concerts de l’orchestre éphémère que nous avons créé et baptisé Les Climats de Bourgogne. Il se produit une seule fois par an. Son nom est très symbolique de la Bourgogne, il a d’ailleurs été lancé une action pour l’inscription des « climats » du vignoble de Bourgogne sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO, au titre de « site culturel, œuvre conjuguée de l'homme et de la nature. »
 
Ces « climats » de Bourgogne, n'ont évidemment rien à voir avec la météorologie ! Le site de soutien à cette démarche auprès de l'UNESCO nous en donne la définition suivante : « Chaque Climat de Bourgogne est une parcelle de vigne, soigneusement délimitée et nommée depuis des siècles, qui possède son histoire et bénéficie de conditions géologiques et climatiques particulières… Chaque vin issu d’un Climat a son goût et sa place dans la hiérarchie des… Les Climats sont plus de 1000 à se succéder sur un mince ruban courant de Dijon à Santenay, au sud de Beaune ; certains répondent à des noms illustres comme Chambertin, Romanée-Conti, Clos de Vougeot, Montrachet, Corton, Musigny... Tous ces noms qui nous font rêver et voyager, tous ces vins de Bourgogne que vous aimez tant, comment les définiriez-vous ?
 
B.H. : J’aime le Bourgogne, ce qui ne m’empêche en rien d’aimer le Bordeaux ! Mais, il est vrai que les plus grandes émotions me sont venues des vins de Bourgogne. Il me semble que les hommes qui fabriquent ces vins ont un attachement à la terre, à l’Histoire, au sens noble du terme, plus exaltants que les autres terres vinicoles. Peut-être les choses sont-elles exacerbées en Bourgogne du fait de la petitesse des territoires et donc de la rareté des vins. Selon les vignobles périphériques que l’on intègre aux vins de Bourgogne, la totalité des vignobles est cinq ou dix fois plus petite que les vignobles bordelais. Nous avons donc un sentiment de rareté, d’exclusivité et donc de quelque chose de très précieux… Cela sans doute attise la passion et la subjectivité… Le Clos Vougeot incarne cela parfaitement. Son château isolé au milieu des vignes, à la fois simple et majestueux, est un lieu qui, je crois, procure à tous ceux qui y viennent une grande sérénité. Le vin lui-même du Clos Vougeot est un vin terrien qui peut être critiqué par ceux qui ne savent pas attendre. En effet, il lui faut au moins dix ans pour commencer à livrer ses multiples facettes, un peu comme la musique qui se déguste de mieux en mieux, peu à peu…
 
L’on pourrait dire cela également de la « fabrication » d’un jeune musicien, un sujet qui vous tient très à cœur, puisque vous suscitez de nombreuses actions d’aide aux jeunes musiciens dans le cadre de la Bourse Jeunes Talents ?
 
B.H. : C’est vrai et cela répond à la question des objectifs d’un tel festival. Nous nous finançons uniquement sur fonds privés grâce à la fidélité et à la générosité de nombreux mécènes. Pour les motiver, il fallait que cet événement ne soit pas seulement hédoniste, mais aussi riche d’un but véritable. En ce sens, aider les jeunes musiciens à démarrer une carrière est notre aiguillon depuis les commencements. Erwan Faiveley, du domaine de Nuits-Saint-Georges, a beaucoup contribué à ce choix au tout début. Dès les origines, du fait du lien très étroit entre les États Unis et la Bourgogne, nous offrons chaque année deux bourses conséquentes, de dix mille euros chacune, à deux jeunes musiciens : l’un américain et l’autre français.
Comme nous avons de plus en plus de mécènes, américains, français, mais aussi asiatiques, donc de plus en plus de possibilités, avec Auber de Villaine, nous avons eu envie de créer, en plus, un fonds instrumental. Nous faisons ainsi fabriquer des copies d’instruments anciens de très haute qualité, par les meilleurs luthiers de France et d’Europe. Chacun porte le nom d’un grand cru et celui du mécène qui a permis sa fabrication. Cette idée a rencontré un grand succès et nous avons maintenant de plus en plus de contributeurs qui veulent y participer, au point que l’on a du mal à suivre, vu les délais de fabrication des luthiers ! Ces instruments sont prêtés à de jeunes musiciens qui n’ont pas les moyens de les acheter. Tous les ans, il y a une audition pour choisir les très jeunes artistes à qui nous confierons l’un de ces instruments, afin d’accélérer et bonifier leur carrière.
 
A vous écouter, je me dis que toute cette aventure est très « luxueuse », des vins d’exception, un festival entièrement financée par des fonds privés, avec des mécènes qui se bousculent etc. L’on pourrait donc imaginer que ce festival est réservé à quelques privilégiés fortunés, mais vous avez au contraire une politique de prix très modestes…
 
B.H. : Nous sommes pragmatiques, nous savons qu’aucun festival ne vit de ses recettes de billetterie. Je voyage, j’observe beaucoup autour de moi. À part peut-être Salzbourg où la billetterie représente une part élevée du budget, partout dans le monde, les revenus tirés de la billetterie sont très maigres ; ce constat étant fait, nous voulons donc en profiter pour donner l’accès à tous. Cela évidemment dans la seule limite de nos capacités de places qui sont réduites du fait de la taille des lieux. Le maximum est de cinq cents places par concert, le bon côté de cet espace restreint étant d’offrir des concerts avec une véritable sensation d’intimité… Notre prix de billet est bas : trente euros, y compris pour Yo Yo Ma ou d'autres très grandes stars… Pour trente euros de plus, avant le concert, vous pouvez déguster le meilleur de la Bourgogne.
 
Votre programmation musicale est également très grand public…
 
B.H. : C’est vrai, une grande partie de notre public est constituée de vignerons dont nous avons suivi l’évolution au fil des années, en espérant avoir participé à leur « éveil » musical. Mais cela ne nous empêche pas de tenter des œuvres plus complexes d’accès. Il y a deux ans nous avions programmé le Trio n°2 de Chostakovitch avec Jean-Yves Thibaudet, David Chan et Gautier Capuçon. Cela a été l’un de nos concerts les plus mémorables. C’est pourtant une œuvre moins facile d’accès que Carmen ou une symphonie de Mozart ! Cette saison Chostakovitch est encore au programme, ainsi que Korngold.
 
Vous parlez de votre public de vignerons, combien de personnes touchez-vous en moyenne ?
 
B.H. : Autour de trois mille personnes environ. Il y a une moitié d’étrangers – des Suisses, des asiatiques, des Américains. Il y a des gens du coin aussi et enfin des amateurs de Bourgogne qui viennent à la fois pour découvrir des vins et écouter de la musique.
 
Cette émotion musicale que vous connaissez très bien et que vous tentez d’offrir dans votre festival, quelle relation a-t-elle, pour vous, avec l’émotion suscitée par le vin ?
 
B.H. : Pour moi l’émotion que procure le vin, c’est ouvrir une bouteille, regarder sa couleur, sa robe et ressentir immédiatement sa singularité. Puis, lorsque l’on commence à le goûter, c’est encore savoir que vous ne percevez qu’une partie de son potentiel, car ce vin va avoir besoin d’évoluer lentement dans le verre, de s’oxygéner. Pour chaque vin, l’émotion naît lorsque l’on ressent ce qui est essentiel : la nature de son équilibre, puis le développement de sa complexité de goûts et du parcours aromatique qui devient de plus en plus dense et multiforme. C’est très difficile de décrire ce qu’est une grande bouteille de vin. Généralement, plus vous cherchez les mots pour la qualifier, plus ils vous échappent. Finalement la définition la plus simple serait de dire qu’un grand vin est toujours meilleur à la fin du repas qu’au début… Pour moi, ce qui relie entre autres la musique et le vin, c’est la puissance et la complexité des émotions qu’ils procurent, la difficulté à les exprimer, le plaisir de les partager…
 
Propos recueillis par Jeanne-Martine Vacher le 21 mai 2015
 
8ème Festival Musique et vin au Clos Vougeot 
Du 20 au 28 juin 2015
www.musiqueetvin-closvougeot.com
 
Site des Climats de Bourgogne
www.climats-bourgogne.com


 
 
Photo Bernard Hervet © Jean-Louis Bernuy

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