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Une interview d’Anita Rachvelishivili – « Dalila est un rôle splendide et très complexe »
Elle avait 26 ans lorsqu’en 2009, Daniel Barenboim la dénicha à l’Académie de la Scala de Milan et la propulsa dans l’arène en Carmen, sous les feux de toutes les caméras du monde. Un défi relevé plus que brillamment, puisque la Géorgienne Anita Rachvelishvili, non contente de poursuivre sa route avec ce personnage qui lui colle à la peau, s’impose partout. Paris l’avait admirée en Amneris en juin dernier.
La voici en Dalila, pour la nouvelle production du trop rare chef d’œuvre de Saint-Saëns que Damiano Michieletto signe à la Bastille (du 4 octobre au 5 novembre). Riche et puissante, sa sensuelle voix de mezzo sait aussi s’infléchir jusqu’aux plus enjôleuses inflexions. Le pauvre Samson n’a qu’à bien se tenir !
Vous avez été révélée au public dans une œuvre française. Quels sont vos rapports à cette langue ?
Anita RACHVELISCHVILI : Je la parle encore peu et je tente de progresser, mais je la chante sans peine. Pour Carmen, j’avais longuement travaillé avec l’incontournable Jeanine Reiss. Je travaille aussi des mélodies françaises qui sont excellentes pour la diction et apprennent à poser la voix. Quand vous chantez Carmen à Vérone, ce n’est pas difficile, il suffit de lancer la voix. Dans une petite salle, c’est une autre affaire. Et puis, pour m’adapter au français, le géorgien, ma langue natale, offre un atout. Nous avons deux sons « r ». Nous ne les roulons donc pas systématiquement, contrairement aux Russes. Mais notre langue est si difficile que tout paraît facile à côté ! En outre, on est aujourd’hui plus attentif à cela. Autrefois, par exemple Corelli ne chantait pas du français, c’était carrément de l’italien ! Quant à Callas, qui disait « je t’éme », elle chantait du Callas !
Étiez-vous familiarisée avec l’opéra français pendant votre enfance à Tbilissi ?
A.R. : On y entendait toutes sortes de musiques. C’était un monde très ouvert, très cosmopolite. Moi-même je suis un mélange d’arménien, de juif, d’un peu de français sans doute et peut-être même de géorgien, mais en ce qui concerne l’opéra français, on ne le connaissait guère, à part Carmen, bien sûr, qui a toujours été chanté partout !
Que pensez-vous du rôle de Dalila ?
A.R. : Je l’ai déjà chanté en concert. Là je le joue pour la première fois. C’est splendide et très complexe. Il faut avancer pas à pas dans ce personnage et cette musique que je trouve assez wagnériens. C’est si différent de Carmen, même s’il y a des choses horriblement difficiles dedans comme « L'amour est enfant de Bohême ». Dans le répertoire français, rien ne vaut Massenet, dont je chante la Dulcinée de Don Quichotte. Tout s’y place facilement. Dalila, elle, est redoutable, particulièrement au 2e acte. Sa voix change tout le temps au gré de ses humeurs et des contrastes violents du personnage. Elle doit littéralement onduler !
Comment se passe le travail avec l’équipe en place à la Bastille ?
A.R. : Je dois d'abord dire que j’aime ce lieu que j’ai découvert avec Amneris avant l’été ; j’y suis bien. Travailler avec Philippe Jordan est un bonheur tant il aide les chanteurs et connaît à fond la partition, ce que je n’ai pas vu partout. Et surtout, il sait manier l’orchestre avec ce legato continu qui est indispensable au langage de Saint-Saëns. Mon Samson aussi, Aleksandrs Antonenko, est un des grands interprètes du rôle à ce jour. Quant à Damiano Michieletto, j’avais découvert son travail à Londres, où il mettait en scène Pagliacci et Cavalleria rusticana. L’intelligence avec laquelle il dirigeait les chanteurs m’avait éblouie. J’admire aussi beaucoup la façon dont il fait bouger les chœurs, difficiles à manier dans cet opéra qui est presque un oratorio sacré. Il leur imprime le mouvement de la vie, tout en respectant scrupuleusement les indications de la partition. Certes il transpose au XXe siècle, mais c’est si subtilement fait que cela n’est pas gênant. Je retrouve le plaisir ressenti du travail avec le fabuleux Tcherniakov, qui m’a dirigée à Berlin dans La Fiancée du Tsar. Tout est naturel avec lui. Il suffit d’avoir foi en sa vision, et tout s’éclaire.
Est-ce que votre voix change ?
A.R. : Elle s’affirme et s’élargit. Je la sens tellement différente de ce qu’elle était au moment de mes débuts à la Scala. J’étais si jeune, et devant le choix de Barenboïm, je ne m’étais pas posé de questions. J’avais foncé ! Mais depuis, j’ai beaucoup progressé. Je suis dans une perpétuelle recherche de couleurs, pour affiner ma palette, et j’essaie de garder un rythme de travail raisonnable, de ne pas multiplier les engagements, entre deux temps de décompression dans mon foyer à Tbilissi. Et puis j’apprends à dire non ! Non à Wagner, notamment, et à Barenboïm qui m’y voulait. Cela attendra dix ans. Je ne veux pas gaspiller mes chances. Imaginez : je visite le monde, je fais ce que j’adore, je rencontre des gens passionnants, et je suis payée pour ça ! Avec tant de belles aventures à l’horizon : les russes que j’adore chanter, Marfa, Kontchakovna, Lyubacha, Verdi aussi avec Azucena à Covent Garden bientôt, Eboli à Bastille en 2018. Que demander de plus ?
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux le 20 mars 2016
Saint-Saëns : Samson et Dalila – Paris, Opéra Bastille, les 4, 7, 10, 13, 16, 19, 24, 27, 30 octobre et les 2 et 5 novembre 2016 / www.concertclassic.com/concert/samson-et-dalila
Photo © Salvo Sportato
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