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Une interview Daniel Kawka, chef orchestre – « La vie musicale souffre de la spécialisation »

Après le succès remporté par la production de Lohengrin en juin à l’Opéra de Saint-Etienne (1), Daniel Kawka (photo), interprète reconnu de la musique du XXème siècle, nous parle de ses projets à la tête de l’Ensemble Orchestral Contemporain – fondé en 1992 sur le modèle de l’Ensemble Intercontemporain – et surtout de l'Orchestre Ose !(2), une formation symphonique ouverte à l’échange et au métissage musical dont il assure la direction depuis 2013.
Bel été que celui d’un chef que l’on retrouve au Festival Messiaen au pays de la Meije (22/07), aux Nuits de la Citadelle de Sisteron (29/07) et à La Chaise-Dieu (19 & 20/08). Quant à la rentrée, c’est en Corée qu’elle conduira Daniel Kawka et ses musiciens de l’EOC
 
 
Depuis sa création, comment évolue l’Orchestre Symphonique Ose! ?
 
Daniel KAWKA : Il s’agit d’une aventure qui, quatre ans après la constitution de cette formation, prend désormais tout son sens. Les 80 musiciens vivent une expérience originale dont ils sont partie prenante. La motivation qui les anime s’applique tout autant à leur mode de recrutement par cooptation que par leur renouvellement par tiers tous les trois ans.
L’effet déclencheur aura été l’enregistrement, avec le pianiste Vincent Larderet, des deux Concertos de Ravel et de la pièce J’entends dans le lointain. Ce disque (3) été particulièrement bien reçu par la critique et a braqué le projecteur sur notre activité.
 
Dans la région stéphanoise où nous résidons, nous avons suscité de nouvelles approches du concert dans des lieux souvent insolites. Notre objectif vise à toucher des auditeurs jusque-là peu enclins à fréquenter les concerts symphoniques. Pour ce faire, des actions de sensibilisation sont menées sous la forme d’ateliers ou de rencontres. La tradition industrielle de la couronne stéphanoise, ses villes chargées d’Histoire – telle Firminy où je suis né – constituent un terreau particulièrement propice : l’architecture de Le Corbusier, les friches à réinvestir incitent à l’audace.
Notre situation est tout à fait particulière car nous ne sommes dépendants d’aucun argent public et nous devons trouver nos propres financements par le biais du mécénat. Cela engendre une attitude différente qui nous oblige à penser autrement et à envisager sans cesse des solutions sur le plan matériel sans jamais faire de concessions sur la qualité du travail ; je réagis comme un chef d’entreprise ce qui m’a d’ailleurs valu de recevoir un Grand Prix managérial en Rhône-Alpes pour la gestion de Ose!  
 
 
Quelles sont les réalisations à mettre à l’actif d'Ose! ?
 
D.K. : Nous cherchons à impulser une nouvelle manière d’appréhender la relation entre la musique classique et la musique populaire. Le spectacle Symbiose qui a été récemment présenté au printemps dernier en est la concrétisation. Il s’agit de la rencontre avec un groupe de rock, Aligator, de l’Egyptien Abdelwaheb Sefsaf et de la confrontation avec des compositeurs contemporains parmi lesquels Alexandros Markeas. La vision poétique et métissée s’est traduite par un bouleversement des codes et une mise en synergie qui correspond aux attentes d’un public hétérogène.
 
En mars-avril dernier, au festival Archipel de Genève, Marc Texier (directeur artistique de la manifestation ndr) nous a invités à participer huit jours durant à une opération très enrichissante avec la création de six partitions de jeunes compositeurs sélectionnés parmi cent soixante-quinze propositions reçues du monde entier. Nous avons vécu un moment exceptionnel médiatisé par la Radio Suisse Romande, et l’événement se renouvellera dans les années futures, encouragé par la présence de Peter Eötvös qui apportera un soutien de poids. La vie musicale souffre en réalité de la spécialisation. Avec Ose! nous menons une réflexion sur la pratique des instruments d’époque et sur la manière de les faire sonner dans une recherche de couleurs adaptées à chaque style que nous appliquons aux pages de Sibelius, Schumann, Dvorak et j’espère bientôt Bruckner.
Pour Lohengrin avec l’Orchestre de l’Opéra de Saint-Etienne, j’ai employé des trompettes à palettes moins puissantes mais plus fusionnelles et rondes. Cette manière de concevoir une telle approche avec les musiciens de Ose! me paraît fondamentale, d’autant plus que cette formation se montre particulièrement ouverte aux propositions, loin d’un son standardisé avec une volonté d’aborder le répertoire symphonique comme s’il s’agissait de musique de chambre.
 
Adam Laloum, partenaire de D. Kawka et de l'Orchestre Ose! aux Nuits de la Citadelle de Sisteron © DR
 
Quelle sera votre activité de chef d’orchestre au cours de ces prochains mois ?
 
D.K. : Le Lohengrin de Saint-Etienne m’a procuré beaucoup de joie ne serait-ce que par l’accueil du public et de la critique.Vous connaissez ma fibre wagnérienne depuis ma découverte de Parsifal aux Chorégies d’Orange dans mes jeunes années, et je poursuis aujourd’hui un travail en profondeur sur la temporalité et la dramaturgie wagnériennes. Je rêve maintenant de monter un Ring dans une version ramassée comme l’avait réalisée jadis Lorin Maazel.
Dans l’immédiat, le 22 juillet, avec l’Ensemble Orchestral Contemporain, je donnerai au Festival Messiaen du pays de la Meije des œuvres de Murail, de Falla (le Concerto pour clavecin) et une création mondiale de Jean-Luc Hervé. Le 29 juillet je retrouverai Adam Laloum aux Nuits de la Citadelle de Sisteron avec l’Orchestre Symphonique Ose! dans le Concerto pour piano de Schumann, entre Le Corsaire de Berlioz et la 6ème Symphonie de Dvorak. Nous nous sommes déjà produits l’an dernier dans ce festival – avec Roger Muraro dans le Concerto en sol de Ravel – ; un événement qui a contribué à forger la réputation de notre jeune formation.
A la Chaise-Dieu, les 19 et 20 août dans l’Abbatiale Saint-Robert, je dirigerai le Requiem de Verdi avec l’Orchestre et les Chœurs Giuseppe Verdi de Milan, ce dont je me réjouis à l’avance. Cerise sur le gâteau, l’EOC fera une tournée en Corée du Sud au mois de septembre où l’on créera des œuvres de compositeurs coréens, lettons …
Par ailleurs, toujours à la rentrée, l’Ensemble participera à une première rencontre de musique française en Rhône-Alpes autour de Boulez et du Marteau sans maître. Je reste très attaché à la diversification de mes activités, et bien que l’on me connaisse pour mon engagement dans la musique d’aujourd’hui, je tiens à m’impliquer tout autant dans le répertoire de l’opéra et de l’orchestre symphonique que dans des expériences stimulantes où je me réalise pleinement.
 
Propos recueillis par Michel Le Naour, le 17 juin 2017
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  1. www.concertclassic.com/article/lohengrin-lopera-de-saint-etienne-incandescence-et-enchantement-compte-rendu
  2. www.orchestre-ose.com/
  3. Ars Produktion

 
Site de Daniel Kawka : www.daniel-kawka.com/
 
Site de l’Ensemble Orchestral Contemporain : www.eoc.fr/
 
Festival Messiaen au pays de la Meije : www.festival-messiaen.com/
 
 
Nuits de le Citadelles de Sisteron : www.nuitsdelacitadelle.fr/
 
Festival de la Chaise-Dieu : www.chaise-dieu.com
 
Photo Daniel Kawka © Félix Ledru

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