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Une interview d’Adrien Perruchon, directeur musical de l’Orchestre Lamoureux – « Un orchestre tel que Lamoureux joue un rôle important dans l’écosystème musical »

 
Ancien timbalier du Philharmonique de Radio France, Adrien Perruchon a commencé au mitan des années 2010 une carrière de chef, de plus en plus active côté symphonique autant que lyrique. Son tout premier concert avec l’Orchestre Lamoureux en novembre 2018 fut un vrai coup de foudre, qui a conduit les musiciens à lui demander de prendre la direction musicale, poste auquel il a été officiellement nommé en février 2021. A l’approche du concert du 22 janvier à La Seine Musicale, le chef évoque la spécificité de la formation, l’une des plus anciennes de Paris certes mais résolument tournée vers l’avenir et la transmission.

 
Charles Lamoureux ( 1834-1899) © DR

Si, quelque part à l’autre bout du monde, un musicien ne connaissant l’Orchestre Lamoureux que de nom vous demandait de décrire l’ «esprit Lamoureux », que lui répondriez-vous ?
 
Charles Lamoureux (fondateur de l’Orchestre en 1881 ndlr) et Camille Chevillard, son successeur et gendre (qui lui succéda en 1897 ndlr) ont tôt choisi de « donner les clés du camion » à l’orchestre ; modèle qui n’a pas changé depuis cette époque. Les musiciens sont partie prenante dans la vie de la formation et orientent celle-ci ; ce sont eux qui emploient l’équipe permanente. Ils sont venus me chercher, comme ils sont venus chercher mes prédécesseurs, en tout cas dans la période récente. C’est la différence avec les formations permanentes où l’administration, que ce soit du côté administratif ou financier, conduit les musiciens à se laisser un peu porter et ne les sollicite que tard parfois dans les choix, orientations artistiques ou même pour la désignation du directeur musical.
 Et puis, il faut aussi garder à l’esprit que les associations symphoniques telles que Lamoureux jouent un rôle important dans l’écosystème musical. J’étais à Hambourg il y a quelques semaines pour diriger l’Orchestre de l’Opéra. Le cor anglais solo, qui est un jeune Français, m’a confié que c’est dans des formations de ce type qu’il a fait ses premiers « cachetons », qu’il a appris le métier. Et c’est le cas pour bien des musiciens à présent en activité dans des formations permanentes. Certains font les deux d’ailleurs : nous comptons dans nos rangs des musiciens de l’Orchestre de Paris ; nous avons récemment recruté le contrebassiste Stanislas Kuchinski, membre de ce dernier depuis une quinzaine d’années.
 

Camille Pépin © Natacha Colmez-Collard

Comment se déroule l’élaboration d’un programme tel que celui que l’on entendra le 22 janvier à la Seine Musicale, qui réunit le 2e Concerto pour cor de Strauss, D’un soir triste de Lili Boulanger (dans l’orchestration de Camille Pépin) et la 9Symphonie de Chostakovitch
 
J’ai les coudées franches pour la partie symphonique de la saison. La programmation comprend plusieurs segments : les concerts symphoniques se font en majorité avec le directeur musical ; pour l’un d’entre eux aussi, en théorie,  avec le directeur musical honoraire, le maestro Michel Plasson. L’an dernier il a été indisposé et j’ai repris le programme qu’il avait imaginé de A à Z ; il est malheureusement trop fatigué pour être présent cette saison.
 
Quid du fil rouge Nadia et Lili Boulanger de la saison en cours ?
 
C’est une chose à laquelle j’ai songé dès le moment où l’orchestre est venu me trouver. J’ai eu envie d’accompagner les musiciens parce que déjà, dès notre premier concert, l’entente était remarquable, mais j’avais aussi l’envie de mettre en lumière des artistes qui ont collaboré avec l’orchestre. Ça fut le cas de Nadia Boulanger : elle trouve donc sa place cette saison avec, tout naturellement, sa sœur Lili à ses côtés. L’an dernier, nous avions programmé le Concerto pour alto de Grazina Bacewicz, qui a eu l’occasion d’interpréter son ouvrage avec l’Orchestre Lamoureux. Il est important de montrer qu’il a vécu avec les artistes de son temps – l’exemple le plus célèbre, souvent cité, étant celui de Charles Lamoureux qui a fait découvrir la musique de Wagner au public parisien à une époque où cela n’allait pas du tout de soi. Je suis heureux de bientôt diriger la pièce de Lilli Boulanger, orchestrée avec beaucoup de talent par Camille Pépin. J’avais d’ailleurs programmé de la musique de cette dernière dès ma première saison à l’orchestre.
 

© Laurent Guizard
 
Quant au Concerto pour cor n° 2 de Strauss, il sera confié à  David Guerrier. Comment procédez-vous pour le choix de vos solistes ?
 
J’amène dans ma besace des amitiés glanées au cours de ma vie de musicien ; certaines rencontres datent de mes années d’études, d’autres plus tardives. Ce qui m’intéresse est de confier à de forte personnalités musicales un répertoire plus singulier que celui qu’on leur demanderait autre part. Edgar Moreau a ainsi donné le Concerto militaire d’Offenbach la saison passée, pièce magnifique mais qu’il n’a pas souvent l’occasion de jouer.
 
Pas plus que Jean-Frédéric Neuburger pour la rarisssime Fantaisie variée de Nadia Boulanger, que l’on découvrira, sous votre direction, le 18 février, au sein d’un programme « Mademoiselle in Paris » comprenant en outre le Concerto pour la main gauche de Ravel et des pages de Copland et Bernstein ...
 
Jean-Frédéric possède une curiosité musicale hors du commun ; ça l’a immédiatement intéressé d’inscrire cette partition à son répertoire. Il a choisi de plus se consacrer à la composition depuis quelque temps et se fait plus rare en concert qu’à une époque, ce qui me semble dommage ; je suis d’autant plus heureux de partager ce moment avec lui.
 
Après le concert de février, il vous en restera un, avec Chloé Briot (dans Berlioz et Nadia Boulanger), le 9 mai. Comment s’explique ce faible nombre de programmes symphoniques cette saison ?
 
Le nombre normal de concerts dirigés par mes soins est de cinq ou six. Nous sommes soumis à une donnée contraignante : les saisons se font sur deux exercices fiscaux ; les subventions publiques ne vont pas augmentant et cela nous incite à une certaine prudence. Par ailleurs, nous avons eu une activité assez étoffée sur la fin de la saison 2021/2022, donc sur le budget 2022, ce qui nous a amenés à déshabiller un peu la saison 2022-2023 et à ne pas proposer de programme symphonique important en début de saison ; cela nous permettra d’avoir une activité plus concentrée au commencement de la saison prochaine.
En prenant le direction de l’orchestre j’avais le souhait de parvenir, autant que possible, à doubler les concerts en province, dans les festivals, etc. C’est pourquoi j’essaie de concevoir des projets qui trouvent un écho chez les programmateurs ou que l’on parvient à monter en collaboration, comme ça a été le cas avec le Palazzetto Bru Zane en juin dernier pour « Paris romantique » (1). Ainsi, le programme du 9 mai prochain sera-t-il repris dans le cadre du Festival Classique au large de Saint-Malo. J’ajoute que la Chambre Lamoureux, dont Hugues Borsarello a la charge, se produira mi-mai avec François Dumont dans les deux concertos de Chopin, à Paris et, dès le lendemain, à Nancy, salle Poirel.
 

Bébé Concert à la salle Gaveau © Fabien Baron
  
Si l’activité symphonique s’est un peu réduite cette saison pour les raisons que vous venez de détailler, la partie Jeune Public de la programmation demeure très fournie et atteste le rôle de passeur de musique de l’Orchestre Lamoureux, avec près d’une douzaine de rendez-vous « Bébé Concert » entre autres ...
 
Le modèle du Bébé Concert existait déjà à mon arrivée ; ce sont les membres de l’orchestre qui l’ont mis en place, avec beaucoup de succès. Un comité de musiciens est en charge de son organisation et travaille de façon très indépendante.

S’agissant du Jeune Public, il faut aussi mentionner les actions menées avec Orchestre à l’Ecole, dont Lamoureux est partenaire depuis 2021. Ce qui conduira de jeunes musiciens de Suresnes à se produire à la Seine Musicale avant votre concert du 22 janvier. Comment avez-vous eu l’idée de travailler avec cette association ?
 
J’ai découvert Orchestre à l’Ecole à l’époque où j’étais membre de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. J’ai un jour été amené à remplacer le maestro Chung pour un concert qui se faisait avec Orchestre à l’Ecole sur la 2e Symphonie de Dvorak, sur le modèle de ce que nous faisons désormais chez Lamoureux lors des avant-concerts montés avec l’association. L’orchestre joue et l’on intègre des parties pour les jeunes instrumentistes, ce qui leur permet d’être portés par l’œuvre. A chaque fois que nous travaillons avec Orchestre à l’Ecole, nous faisons en sorte de choisir des partitions adaptées à cette démarche, et l’association dispose d’une armée d’orchestrateurs maison qui connaissent exactement le niveau des instrumentistes et travaillent sur mesure.
Les opérations avec Orchestre à l’Ecole résultent d’une triangulation entre le chef d’établissement, le directeur de l’école de musique ou du conservatoire de la localité où se situe l’établissement scolaire concerné et l’association.
 

© Orchestre à l'Ecole
 
Orchestre à l’Ecole compte environ 1500 formations  ...
 
Il devrait y en avoir plus encore !, partout ; ça devrait être nationalisé. Je me suis baladé dans toute la France et j’ai pu constater que l’expérience résonne autant dans des zones urbaines difficiles que dans des déserts culturels, ou encore dans des contextes plus privilégiés tels que l’école que François Nyssen a créée à Arles. Dans tous les cas, toutes les configurations, l’expérience marche : les gamins font les mêmes progrès et trouvent le même plaisir ! Le vœu que l’on peut former, c’est qu’Orchestre à l’Ecole – que dirige Marianne Blayau, une femme formidable –  se pérennise bien sûr, mais prenne plus d’ampleur encore. Quand on voit l’enveloppe dont dispose l’association et les résultats ... c’est vraiment exceptionnel.
 

© Liva Herzenberger - Brucknerhaus
 
La collaboration avec l’Ecole Normale de Musique et une Académie de direction d’orchestre qui aura lieu en avril à Neuilly-sur-Seine sont deux autres aspects du volet « transmission ». Pouvez-vous m’en dire un peu plus ; y a-t-il un lien entre les deux ?
 
Aucunement. La relation avec l’Ecole Normale remonte à 2020, nous accueillons des musiciens de cet établissement, qui se mêlent aux membres de l’Orchestre Lamoureux pour des programmes symphoniques ou chambristes. La classe de direction de l’Ecole Normale est désormais dirigée par Julien Masmondet, qui fait un travail remarquable et cherche à multiplier les liens avec le monde professionnel. L’expérience avec des professionnels est très importante dès les études pour se frotter à la réalité du métier. J’aurais l’occasion d’intervenir comme professeur invité à l’Ecole Normale, au même titre que Louis Langrée et Lionel Sow.(3) Je suis heureux du resserrement de la relation entre l’Ecole et l’Orchestre Lamoureux. Nous avons en projet pour l’automne prochain un programme à la salle Cortot – avec un effectif assez réduit évidemment – et j’essaie d’impliquer le très beau département chant de l’Ecole à cette entreprise.
Quant à l’Académie de direction à Neuilly, il s’agit d’une collaboration ponctuelle pour laquelle nous avons été sollicités et à laquelle nous participons d’autant plus volontiers que la fibre de la transmission est très présente chez nos musiciens.
 
Propos recueillis par Alain Cochard le 28 décembre 2022

 

(1) www.concertclassic.com/article/paris-romantique-par-lorchestre-lamoureux-le-souffle-de-la-rarete-compte-rendu

(2) www.orchestre-ecole.com/

(3)  www.ecolenormalecortot.com/wp-content/uploads/flyer-direction-orchestre-numerique-2-1.pdf
 
 
Orchestre Lamoureux, dir. Adrien Perruchon / David Guerrier
Œuvres de Boulanger (orch. C. Pépin), R. Strauss, Chostakovitch
 22 janvier 2023 -  17h ( avant-concert à 16h avec Orchestre à l’Ecole)
Boulogne-Billancourt – Seine Musicale
https://orchestrelamoureux.com/concerts/crepuscules/
 
Site de l’Orchestre Lamoureux orchestrelamoureux.com
 
Photo © MJLee

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