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Une baguette bien occupée - Une interview d’Alain Altinoglu

Concert avec l’Orchestre de Paris (le 16 mai), création française du Concerto pour deux pianos de Bruno Mantovani à Toulouse (1er juin), récital avec Nora Gubisch au Festival de Saint-Denis (9 juin), L’Amour des trois oranges à l’Opéra Bastille (du 23 juin au 13 juillet), Thérèse de Massenet au Festival de Montpellier ( 21 juillet) et de nombreux projets en France comme à l’étranger : à 37 ans seulement, Alain Altinoglu est un chef bien occupé. Il a pris le temps de répondre à Concertclassic à quelques jours d’un concert Chabrier, Saint-Saëns, Schmitt à la Cité de la musique, avec le talentueux Romain Descharmes au piano.

Quels liens entretenez-vous avec l’Orchestre de Paris que vous vous apprêtez à retrouver à la Cité de la musique le 16 mai ?

Alain Altinoglu : J’ai déjà donné deux opéras avec eux en 2008 : Falstaff au Théâtre des Champs-Elysées et Roméo et Juliette de Pascal Dusapin à l’Opéra Comique. Mais ce sont des musiciens que je connais bien depuis longtemps car j’avais été assistant lors de La Belle Hélène du Festival d’Aix-en-Provence en 1999. Avec certains membres de l’Orchestre, j’ai par ailleurs eu l’occasion de faire de la musique de chambre.

Qu’appréciez-vous plus particulièrement chez cette formation ?

A. A. : L’Orchestre de Paris est l’héritier de toute une tradition française et je me réjouis d’autant plus du concert que je dirige bientôt qu’il s’agit justement d’un programme français, avec entre autres La Tragédie de Salomé de Schmitt. Je pense qu’il y a un moment qu’ils n’ont pas joué cette œuvre, mais avec le passé qui est le leur (la Société des Concerts du Conservatoire, Munch…), l’art de la couleur que les singularise et le nombre d’amis que je compte dans les rangs de l’orchestre, j’attends ce moment avec une grande impatience !

La Tragédie de Salomé est une partition que vous défendez depuis longtemps et avec ferveur…

A. A. : Je la dirige beaucoup en effet. On sait pourquoi Schmitt n’a plus été joué depuis la seconde guerre mondiale, mais il faut se situer au-delà de ça et se souvenir de la place éminente qu’occupait ce compositeur dans la vie musicale française du début du XXe siècle. Schmitt est un grand maître de l’orchestration ; une sorte de mélange entre Debussy et Ravel, avec parfois même des couleurs un peu straussiennes. C’est un musicien qui mérite d’être redécouvert.

Romain Descharmes sera le soliste du Concerto n°2 de Saint-Saëns : avez-vous déjà collaboré avec ce pianiste ?

A. A. : Oui, il y très longtemps, à l’époque où Romain était en 3ème Cycle au Conservatoire de Paris. Avec l’Orchestre du Conservatoire, j’avais eu l’occasion de l’accompagner dans le 2ème Concerto de Bartok. C’était il y a plus dix ans. Romain est quelqu’un que j’apprécie beaucoup et c’est un plaisir que de le retrouver pour ce concerto.

Après avoir conduit l’Ensemble intercontemporain le mois dernier, vous donnez la création française du Concerto pour deux pianos de Bruno Mantovani (solistes : François-Frédéric Guy et Varduhi Yeritsyan) à Toulouse avec l’Orchestre national du Capitole le 1er juin. Que pouvez-vous nous dire de cette oeuvre ? Quelle place la création et la musique contemporaine occupent-elles aujourd’hui dans votre activité ?

A. A. : Je connais Bruno Mantovani depuis longtemps car nous étions étudiants à peu près en même temps au Conservatoire de Paris, mais c’est la première fois que je dirige une pièce de lui. Son Concerto pour deux pianos présente une virtuosité et une précision d’écriture remarquables et je suis heureux de travailler avec François-Frédéric Guy et Varduhi Yeritsyan pour cette première.
La musique contemporaine et la création occupaient une grande place dans mon activité à mes débuts. Le temps que je consacre désormais à l’opéra, au symphonique, à la musique de chambre, etc. ne permet plus d’en faire autant, mais je continue à donner entre quatre et six créations par an et je dirige régulièrement de la musique du XXe et du début du XXIe siècle ; c’est très important pour moi.

Le 9 juin, au Festival de Saint-Denis, vous serez au piano pour accompagner Nora Gubisch, votre épouse, dans un programme de mélodies françaises (Berlioz, Duparc, Ravel). Parallèlement Naïve publiera les mélodies de Ravel (1) que vous avez enregistrées ensemble. Pourquoi avoir fait le choix de Ravel après votre CD Duparc (2) ?

A. A. : Ravel est d’abord présent depuis très longtemps dans nos récitals. Il y a aussi des raisons familiales car Ricardo Viñes, créateur de nombreuses œuvres de Ravel – et de Debussy – est l’arrière-grand-oncle de Nora. Ravel a toujours fait partie de la famille. Ravel n’aimait pas les interprétations ampoulées et, avec Nora, nous avons travaillé sur la modernité de la diction. La flûtiste Magali Mosnier et le violoncelliste Jérôme Pernoo se sont joints à nous pour les Trois Chansons madécasses dans ce projet qui nous tenait beaucoup à cœur.

Du 23 juin au 13 juillet, vous serez dans la fosse de l’Opéra Bastille pour la reprise de L’Amour des trois oranges de Prokofiev…

A. A. : L’Orchestre de l’Opéra de Paris est une formation que j’aime beaucoup. A Paris, j’ai la chance de diriger les quatre grands orchestres, Opéra, Orchestre de Paris, Philharmonique et National. Dans tous ces orchestres il y a des gens qui ont été mes professeurs, mes élèves, qui sont des amis ; c’est très particulier pour moi que de diriger à Paris.
A l’Opéra, j’ai dirigé Salomé il y a deux ans et, à la rentrée dernière, Faust. L’Orchestre de l’Opéra est en fait le premier orchestre que j’ai dirigé dans ma vie – j’ai été assistant, j’ai remplacé au pied levé Dennis Russel Davies. Ils possèdent un son vraiment à eux ; j’apprécie la virtuosité des bois, le soyeux des cordes et, surtout, la flexibilité d’une formation lyrique habituée à accompagner les chanteurs. C’est un très grand orchestre !

Avez-vous déjà dirigé L’Amour des trois oranges dans d’autres théâtres ?

A. A. : Non, ce sera la première fois, mais c’est une œuvre que je connais depuis longtemps et que j’aime énormément. C’est Prokofiev avec tout ce qu’il peut présenter d’ironique mais aussi de précis et de méticuleux.

Une semaine après la fin des représentations à la Bastille, vous serez au Festival de Montpellier pour diriger une rareté lyrique, avec Nora Gubisch dans le rôle-titre : Thérèse de Massenet. En quoi se singularise cette partition dans la production du compositeur français ?

A. A. : Thérèse se passe à l’époque de la Révolution française et décrit une femme tiraillée entre un mari et un amant aux idées politiques différentes. La fin de l’œuvre est très dramatique puisque l’héroïne décide de retourner avec un mari qui va se faire guillotiner – il s’agit d’une scène en parlé-chanté vraiment novatrice pour son époque. Massenet est toujours Massenet, mais ce qu’il y a d’extraordinaire avec lui, c’est qu’à chaque œuvre il fait entendre un langage différent. Comme Thérèse se passe pendant la Révolution, il utilise des mélodies, des harmonies « baroques » ; on trouve un clavecin dans l’orchestre . Mais l’ouvrage comporte aussi des moments très violents ; Massenet a su trouver un langage qui correspond à la période historique à laquelle le livret se réfère.

Vous êtes de plus en plus sollicité pour diriger de l’opéra à l’étranger – le dernier exemple en date était Rigoletto à l’Opéra de Cologne en mars-avril - ; quels sont vos projets ?

A. A. : Il se trouve que je vais plutôt me consacrer au symphonique jusqu’à la fin de l’année. En décembre et janvier, à l’Opéra de Zurich, je dirigerai Le Vaisseau Fantôme (avec Bryn Terfel et Anja Kampe) dans une mise en scène d’Andreas Homoki. Mais en 2013, il y aura beaucoup d’opéra : je retournerai entre autres au Met pour Otello et Faust et je dirigerai aussi Mârouf d’Henri Rabaud à l’Opéra Comique en mai.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 2 mai 2012

(1) 1 CD Naïve (à paraître le 30 mai)

(2)1 CD Cascavelle

Actualité d’Alain Altinoglu

Orchestre de Paris/ Romain Descharmes, piano
Œuvres de Chabrier, Saint-Saëns et Schmitt
16 mai 2012 – 20 h
Paris – Cité de la musique

Orchestre National du Capitole de Toulouse
Varduhi Yeritsyan et François-Frédéric Guy, piano
Œuvres de Mantovani, Ravel et Schmitt
1er juin 2012 – 20h
Toulouse – Théâtre du Capitole

Récital avec Nora Gubisch (mezzo)
Œuvres de Berlioz, Duparc, Ravel
9 juin – 20h 30
Festival de Saint-Denis
Saint-Denis – Légion d’Honneur

Prokofiev : L’Amour des trois oranges
Du 23 juin au 13 juillet 2012
Paris - Opéra Bastille

Massenet : Thérèse (version de concert)
21 juillet
Montpellier – Festival de Radio France

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Photo : Fred Toulet
 

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