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Un poète chez Bach - Une interview de Nicholas Angelich


Les amateurs de sentiers trop balisés pourront être surpris. Libre, fantasque presque, mais toujours construite – et servie par un toucher d’une rare beauté -, l’interprétation des Variations Goldberg(1) que signe Nicholas Angelich est à l’image d’un merveilleux pianiste poète : un Bach à la première personne du singulier. A Paris (16 mai) puis à Grenoble (24 mai), l’artiste s’attaque au vaste cycle du Cantor en concert : deux soirées à ne pas manquer.

La musique de Bach n’a pas été jusqu’à ce jour très présente dans vos programmes. Quel rapport entretenez-vous avec ce compositeur ?

Nicholas ANGELICH : J’en ai joué un petit peu en concert, choisi parmi les Suites anglaises et les Partitas, mais Bach est quelque chose que j’ai beaucoup travaillé pour moi. Les pianistes disposent d’un tel répertoire ; il est impossible de tout jouer en même temps, il faut faire des choix et, petit à petit, essayer de construire un parcours. Bach est de toute façon un compositeur très important pour n’importe quel musicien.

Comment s’est produit le déclic qui vous a conduit à vous lancer dans les Variations Goldberg ?

N.A. : C’est une œuvre que je regardais depuis longtemps. Avant ne je n’en avais pas envie, j’étais occupé par d’autres projets. On change avec le temps, on finit par regarder différemment les choses que l’on avait laissées de côté.  C’est un peu mystérieux ; on vit des histoires avec les œuvres, on y vient, on les laisse tomber, on y revient : c’est compliqué et différent pour chaque interprète.

Maintenant que vous y êtes plongé, qu’est-ce qui vous fascine le plus dans les Goldberg ?

N.A. : Il y a tellement de choses dans cette œuvre…, l’inventivité de l’écriture, la polyphonie évidemment. Il y a une structure d’ensemble, mais chaque variation possède son caractère, son identité. C’est difficile à réaliser car il y a, comme vous le savez, très peu d’indications dans la partition. Il faut essayer de comprendre comment structurer l’interprétation, comprendre les affects contenus dans la musique. On trouve aussi des éléments de virtuosité, des choses qui font penser à d’autres musiques. Il y a un côté très universel dans les Goldberg : la danse, la virtuosité, le chant et une écriture instrumentale incroyablement novatrice.

Le fait d’avoir beaucoup baigné durant une période récente dans la musique de Brahms a-t-il pesé sur votre approche des Goldberg ?

N.A. : Difficile de répondre de façon précise. Mais quand on est interprète, des interrelations s’établissent ; on peut apprendre d’une musique autre que celle que l’on joue. Entre Brahms et Schumann par exemple, il y a des choses dont on ne peut dire qu’elles se ressemblent mais qui font un peu partie du même monde musical, même si ce sont deux auteurs très différents. Quant on travaille du Chopin il est intéressant de savoir qu’il était très attaché à Bach.

Parmi les grands enregistrements des Goldberg, certains vous ont-ils plus particulièrement marqué ?

Il y a plusieurs enregistrements magnifiques des Goldberg. Toutes les choses que l’on connaît évidemment (dont Gould), mais aussi des gravures plus rares ; je pense à celle de Claudio Arrau. Mais - et c’est de manière générale mon attitude avant un enregistrement - je me suis abstenu de réécouter ces versions avant de réaliser mes Goldberg. Je me rends compte qu’il y a même très longtemps que je n’ai pas réentendu tout ça.

Puisque nous sommes en pleine année Liszt, où en sont vos relations avec ce compositeur ? Ne l’avez-vous pas un peu délaissé depuis quelque temps ?

N.A. : Je ne dirai pas que je l’ai délaissé. J’ai beaucoup joué les Années de Pèlerinage à une certaine époque(2), ensuite d’autres projets se sont mis en route. J’ai un peu joué la Sonate par la suite. Mais… vous avez peut-être raison, on ne se rend même pas compte ; on s’éloigne de certaines choses et puis le moment vient où l’on a envie de les retrouver. Je vais d’ailleurs reprendre l’intégralité des Années de Pèlerinage en août à la Roque d’Anthéron.

Liszt est un musicien incroyable ; une ouverture sur l’avenir, une culture immense. Il y a tellement d’éléments différents dans sa musique – regardez seulement les trois Années de Pèlerinage. Liszt nous sert d’exemple pour l’ouverture d’esprit ; il a tant apporté à la musique et au piano. C’est un monde sonore très divers et très important pour moi.

Avec Aldo Ciccolini, vous avez été à bonne école pour apprendre à l’aimer…

N.A. : Evidemment. Je me souviens d’avoir travaillé avec lui la Sonate, des études. Mais nous avons abordé tant d’autres compositeurs... Aldo a une telle curiosité, il connaît tellement de choses…

Propos recueillis par Alain Cochard, le 2 mai 2011

(1)Virgin

(2)Rappelons que Nicholas Angelich a signé une très belle version des Années de Pèlerinage en 2003 pour Mirare.

Nicholas Angelich joue les Variations Goldberg

16 mai 2011 – 20h

Paris – Théâtre des Champs-Elysées

www.theatrechampselysees.fr

24 mai – 20h30

Grenoble – MC2

www.mc2grenoble.fr

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Photo : DR

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