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Un grand cru - Concert de clôture du Concours Reine Elisabeth 2010

Les organisateurs du Piano(s) Festival de Lille* avaient eu le nez creux en programmant Denis Kozhukhin (photo). Mais ce n’est pas à Lille que l’on a pu entendre le talentueux pianiste russe. Il a en effet remporté le 1er Prix du Concours Reine Elisabeth 2010 et les obligations inhérentes à cette victoire l’ont empêché de se rendre dans la capitale des Flandres. C’est donc à Bruxelles que l’on pouvait l’entendre en compagnie du Bulgare Evgeni Bozhanov (2ème Prix) et du Néerlandais Hannes Minnaar (3ème Prix) lors de la soirée de clôture du concours. Famille royale présente, hymne national, retransmission télévisée en direct : la célèbre compétition demeure une véritable institution dans la vie culturelle belge et il ne restait plus une place libre dans la belle salle du Palais des Beaux-Arts pour entendre les trois premiers des six Prix 2010 (1), aux côtés du Royal Flemish Philharmonic dirigé par Edo de Waart (qui deviendra chef principal de la formation en 2012)

Formé entre autres par Dmitri Bashkirov, Menahem Pressler et Fou Ts’ong, Denis Kozhukhin (Russie) s’est déjà fait remarquer à Leeds en 2006 (3ème Prix) ou à Lisbonne en 2009 (Vendôme Prize) et a joué par exemple à l’Auditorium du Louvre. C’est donc un musicien aguerri que le jury a couronné d’un 1er Prix parfaitement justifié. Le jeune interprète en apporte l’indiscutable preuve avec le Concerto n°2 de Brahms – excusez du peu… Sonorité pleine, jeu viril et intense, propos direct : Kozhukhin domine son sujet avec un rare aplomb, mais par-delà la performance technique dans ce concerto titanesque, il demeure toujours profondément musicien. Le caractère un peu âpre de son jeu parfois colle idéalement à l’énergie d’un Opus 83 dont il magnifie la poésie farouche – à quels miracles de délicatesse et de légèreté parvient-il aussi quand il le faut ! - avec une simplicité et une autorité qui promettent un splendide avenir pour ce jeune homme de vingt-quatre ans.

Son aîné Evgeni Bozhanov (né en 1984) a pour sa part travaillé avec Boris Bloch à Essen et Georg Friedrich Schenck à Düsseldorf. Bras interminables, position étonnamment basse face au clavier : on le découvre dans le Concerto n°1 de Chopin. Avec un jeu ample et expressif, il donne l’impression de s’être glissé dans un habit un peu trop étroit. Beethoven, Brahms, Rachmaninov ou Prokofiev lui iraient sans doute mieux que cette partition pétrie de style brillant dont il charge beaucoup les lignes. Impressions au terme d’un première écoute : gardons-nous bien de tirer la moindre conclusion définitive au sujet d’un virtuose que l’on s’impatiente de découvrir dans d’autres emplois.

Le 5ème Concerto « L’Egyptien » de Saint-Saëns a été beaucoup joué dans une période récente par des artistes tels que Ciccolini, Thibaudet, Angelich ou Engerer. Nouveau pied de nez aux sourds qui persistent à mépriser cette partition – mais il s’agit il est vrai d’une musique d’abord synonyme de plaisir, de jouissance sonore ; de bien vilains défauts en somme pour nombre de snobs -, le Concours Reine Elisabeth l’a inscrit parmi les opus proposés cette année aux candidats. Bravo ! Et quel régal de l’entendre sous les doigts de Hannes Minnaar (né en 1984), un ancien élève de Jan Wijn à Amsterdam, déjà couronné d’un 2ème Prix au Concours de Genève 2008. Avec une parfaite clarté de jeu, une digitalité éblouissante, jamais sèche cependant, l’artiste néerlandais fait son miel d’une partition gorgée de couleurs et de parfums. Il assume l’exotisme de son propos (splendide Andante) sans jamais céder à la moindre facilité. Le bonheur qui anime son jeu se fait nôtre. Là encore, le Reine Elisabeth a su braquer le projecteur sur un artiste à suivre de près !

Alain Cochard

Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, lundi 14 juin 2010

* Manifestation que nous commenterons très bientôt de manière détaillée.

(1)Le 4ème Prix à été attribué à Yury Favorin (Russie), le 5ème à Kim Tae-Hyung (Corée), le 6ème à Kim Da Sol (Corée)

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Photo : DR
 

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