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Un Américain à Paris – Une interview de John Osborn, ténor

Personnalité immédiatement sympathique et avenante, John Osborn est un ténor recherché capable d'assumer aussi bien les grands rôles rossiniens que les partitions de Bellini, Donizetti et Mozart. Dans les pas de Nicolaï Gedda, qu'il admire, il s'est également fait remarquer dans le grand répertoire français auquel il se mesure régulièrement. La salle de l’avenue Montaigne a fait appel à lui pour incarner le rôle-titre d'Otello de Rossini, aux côtés de Cecilia Bartoli ; une reprise de la production zürichoise signée Caurier-Leiser, qui sera donnée du 7 au 17 avril en ouverture du « Festival Rossini » du TCE. Rencontre.

Vous voici de retour à Paris au TCE(1), pour interpréter Otello de Rossini en version scénique dans la production présentée à Zürich en 2012. Longtemps cet opéra est resté dans l'ombre de celui de Verdi et il a fallu attendre l'enregistrement de José Carreras et Frederica Von Stade dirigé par Jésus López-Cobos (Philips), pour que l'on s'y intéresse. Pour vous qui chantez Idreno, Almaviva, Ramiro, Rodrigo, Narciso et quelques autres, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées pour vous approcher au plus près de ce personnage ?

John OSBORN : L'Otello permet de mettre en avant trois éléments rossiniens très importants : l'élégance, l'héroïsme et la noirceur. Ce n'est pas si fréquent chez ce compositeur qui a souvent privilégié le romantisme ou la grâce. Sur cette production nous sommes trois ténors dont les voix s'accordent et se complètent parfaitement : Edgardo Rocha est un Rodrigo d'une grâce extrême, aux aigus magnifiques et au legato souverain ; Iago est interprété par Barry Banks qui fait des merveilles dans le style « di grazia » et dont la voix a beaucoup de caractère. Otello est un rôle héroïque, écrit pour Andrea Nozzari, proche du baryténor, plus sombre de timbre, mais avec des aigus qui devaient être atteints à l'époque en falsetto, ce qui ne serait pas accepté aujourd'hui où le public veut des voix pleines et un volume imposant, ce qui est plus difficile car la tessiture est large, comme celle de Rodrigo di Dhu dans La Donna del lago, ou d'Arnold dans Guillaume Tell, un rôle écrasant dans lequel on doit veiller à ne pas tout donner tout de suite. Avec l'expérience et la fréquentation de partitions mozartiennes qui demandent une technique parfaite, je parviens désormais à soutenir l'endurance en laissant la voix dans la même position et en ne poussant pas, sinon je prends le risque de ne pas arriver au final dans de bonnes conditions. Otello peut être dangereux si on le chante souvent, mais y revenir une fois par an est un bon rythme.

Vous êtes devenu en quelques années un ténor belcantiste recherché, comme Colin Lee, Javier Camareno, Lawrence Brownlee, Michael Spyrès, Antonino Siragusa ou Juan Diego Florez, capable de reprendre ces opéras remis au goût du jour dans les années quatre-vingt grâce à Ernesto Palacio, Chris Merritt et Rockwell Blake. Vous sentez-vous leur héritier et si oui que leur devez-vous ?

J.O. : Je chante les rôles rossiniens, et les autres d'ailleurs, en suivant les conseils de mon professeur qui me disait toujours de rechercher la plus belle qualité sonore possible. Lorsque l'on atteint la voix juste, le son le plus beau, le plus pur, on peut chanter Rossini qu'il s'agisse d'un rôle héroïque, ou de grâce, car en veillant à la beauté de la voix on ne se trompe jamais. Avec une technique flexible on peut travailler les sons, obtenir des couleurs différentes sans avoir à transformer sa voix. Ma manière de chanter Otello est différente de celle de Merritt ou de Bruce Ford au disque : le premier avait une voix unique mais prenait des risques, n’hésitant pas à frôler parfois le cri pour atteindre une expression. Je voudrais d'ailleurs connaître exactement ses motivations, car il a longtemps assumé ses choix, sans s'en éloigner. J'ai beaucoup de respect pour ceux qui m'ont devancé ; Marilyn Horne a remis au goût du jour des opéras peu connus (Semiramide, Tancredi, Donna del Lago...) qui sont des témoignages exceptionnels et toujours des références : regardez la Semiramide avec Sutherland ! Quelle merveille !

Vous qui chantez aussi bien accompagné par des instruments modernes, qu'anciens, peut-on savoir où va votre préférence et quels changements notables leur présence dans la fosse entraînent sur votre manière d'interpréter la partition ? 

J.O. : Nous avons besoin de pouvoir chanter en toute circonstance avec la même technique et pour ma part je fais toujours attention à colorer, à trouver la dynamique appropriée quel que soit le type d'orchestre. Je ne veux pas faire le procès des instruments modernes, mais on oublie parfois qu'au début du 19ème siècle les orchestres n'étaient pas ceux de Verdi et que la façon de jouer le bel canto était différente. Si un interprète ne veille pas à soutenir la qualité exigée par ce répertoire, je dis toujours qu'il risque de passer du bel canto au « can belto » (Rires). Nous devons de nos jours chanter avec plus de voix, mais c'est dangereux, car nous risquons de la mettre dans le nez et les nasales se font alors entendre, alors que nous devons soigner les couleurs et pouvoir les contrôler avec l'orchestre, sans avoir à concourir avec lui pour gagner en décibels. Ceci est de la responsabilité de tous les musiciens et des chefs qui doivent savoir écouter les voix. Lorsque ces derniers arrivent trop tard sur une production, c'est terrible car nous devons collaborer avec eux qui restent les seuls maîtres à bord. Lorsque j'ai interprété Goffredo au Met dans l'Armida montée pour Renée Fleming, j'ai du chanter mezzo forte pour me faire entendre dans le premier air, très martial, et j'ai senti que la qualité vocale était dure et froide. Pourtant l'acoustique du Met n'interdit pas le travail sur les nuances. Et vous savez que le niveau de l'orchestre a été rehaussé, ce qui complique la balance car l'orchestre gagne toujours en puissance sur les voix : si j'étais directeur artistique je veillerais à cela.

La production que vous répétez en ce moment, montrée d'abord à Zürich, est très attendue car elle fait appel à Cecilia Bartoli qui n'a pas chanté un opéra complet à Paris depuis 1990. Vous qui la connaissez depuis Clari en 2008 et qui avez chanté à ses côtés Cenerentola et Norma, pouvez-vous nous parler de son implication dans le travail et du type de collègue qu'elle est ?

J.O. : Elle est généreuse, arrive aux répétitions pour travailler, pas comme une machine, mais comme une artiste professionnelle, qui montre l'exemple ; elle chante avec la qualité qui lui ressemble, qui lui appartient, sans forcer son instrument, avec une générosité communicative. On a parfois dit que sa voix n'avait pas toujours le volume requis, mais je trouve que ses aigus ont aujourd’hui plus de liberté, de concentration. Elle veut que l'atmosphère de travail soit positive et que les chefs soient ouverts pour parvenir au plus près de ce qu'elle considère comme le bel canto.

Vous chantez la plupart des rôles rossiniens serio et buffo, mais aussi Donizetti, Bellini, Mozart et l'opéra français : plus que jamais le temps des carrières limitées à quelques rôles est révolu. Avez-vous du lutter pour pouvoir alterner les partitions et les types de répertoires, ou est-ce arrivé naturellement ?
 
J.O. : J'ai toujours fais attention à ce que ma voix progresse naturellement, de rôle en rôle ; j'ai commencé avec Donizetti, Bellini, Mozart et Rossini, en suivant les traces de Nicolaï Gedda, même s'il a peu chanté Rossini. Hoffmann, Werther, Roméo, Des Grieux, Cellini l'an prochain à Amsterdam, constituent un répertoire qui me permet d'avancer sereinement. Après La Juive j'ai abordé Guillaume Tell puis Des Grieux. Cela m'a permis de voir ailleurs car Rossini, est un peu lassant si on s'y limite. Gedda cherchait la qualité, le style, l'usage des langues, l'expressivité par le choix des couleurs et la douceur jusque dans l’héroïsme : c'est un modèle pour moi. Parfois en écoutant ses enregistrements j'ai l'impression que les autres chantent comme il le voulait, lui. Il a développé certaines habitudes qui lui étaient propres, prenant parfois des risques, mais a chanté longtemps. J'ai la chance d'être marié à une femme qui m'écoute comme personne et qui veille à vérifier si la qualité de ma voix est au rendez-vous ; c'est utile, car personne ne dit rien dans les théâtres. Elle est soprano colorature (Lynette Tapia ndlr), encore peu connue et nous devons chanter Le Prophète dans trois ans, après Rigoletto, Traviata. Elle est exemplaire dans le style français et le bel canto, comme Bidu Sayão qu'elle tient pour son modèle.

A côtés des personnages torturés, manipulateurs ou méchants que vous défendez, vous restez fidèle à certaines figures positives de l'art lyrique telles que Nemorino ou Tonio : pour quelles raisons revenez-vous si fréquemment à elles ?

J.O. : Nemorino est un des meilleurs rôles du répertoire de ténor, il est sympathique, plein de charme, c'est un paysan dont le cœur est pur, comme Tonio. Le chanter est une médecine pour la voix, car il faut pouvoir retrouver la douceur après l’héroïsme et si je n'arrive pas à recréer ces sensations, c'est frustrant. Mon agent veille heureusement à ce que j'alterne intelligemment chaque production.

Propos recueillis par François Lesueur, le 4 avril 2014

(1) John Osborn a précédemment chanté Otello de Rossini en novembre 2010 au TCE avec Anna Caterina Antonacci et sous la direction d'Evelino Pido (en version de concert).
 
Rossini : Otello
7, 9, 11,13,15 et 17 avril 2014
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
http://www.concertclassic.com/concert/otello-de-rossini

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