Journal

Tugan Sokhiev démissionne de l’Orchestre du Capitole de Toulouse et du Théâtre Bolchoï

Le mandat de Tugan Sokhiev à Toulouse aurait dû s’achever à la fin de la saison en cours. Il a pris fin hier, dimanche 6 mars, avec l’annonce d’une démission à effet immédiat, qui va de pair avec celle de la direction musicale du Bolchoï. Dans un long communiqué que nous reproduisons intégralement ci-dessous, le chef s’explique sur sa décision et déplore la « culture d’annulation » qui se répand depuis quelques jours et la pression qui s’est exercée sur lui pour « faire un choix et choisir une famille musicale plutôt qu’une autre. »  
Le concert que Tugan Sokhiev devait donner avec Baiba Skride à Toulouse le 18 mars est annulé ; celui prévu le 25 mars, avec le chœur Orféon Donostiarra est maintenu, avec un chef remplaçant dont le nom sera annoncé prochainement.

A. C.
 

 

Je sais que beaucoup de gens attendaient que je m'exprime et que je fasse connaître ma position sur ce qui se passe en ce moment.

Il m'a fallu un certain temps pour comprendre ce qui se passe et comment exprimer ces sentiments complexes que les événements actuels ont provoqués en moi.

Tout d'abord, je dois dire la chose la plus importante : je n'ai jamais soutenu et je serai toujours contre tout conflit sous quelque forme que ce soit. Si certaines personnes remettent en question mon désir de paix
et pensent que moi, en tant que musicien, je puisse parler d'autre chose que de la paix sur notre planète est pour moi choquant et offensant.

Lors des divers événements géopolitiques catastrophiques auxquels notre humanité a été confrontée au cours des vingt dernières années de ma carrière, je suis toujours resté avec mes collègues musiciens et nous avons toujours ensemble montré et exprimé notre soutien et notre compassion pour toutes les victimes de ces conflits. C'est ce que nous, musiciens, faisons, nous exprimons des choses avec la musique, nous disons des choses émotionnelles avec la musique, nous réconfortons avec la musique ceux qui en ont besoin. Nous, musiciens, avons la chance de pouvoir parler cette langue internationale qui peut parfois exprimer plus que n'importe quel mot connu de la civilisation.

Je suis toujours très fier d'être un chef d'orchestre qui vient d'un pays aussi riche culturellement que la Russie et je suis aussi très fier de faire partie de la riche vie musicale française depuis 2003. C'est ce que fait la musique. Elle relie les gens et les artistes des différents continents et cultures, elle guérit les âmes à travers les frontières et donne l'espoir d'une existence paisible sur cette planète. La musique peut être dramatique, lyrique, drôle, triste mais jamais offensante ! C'est ce qu'a prouvé mon partenariat très fructueux avec mon magnifique orchestre toulousain. C'est ce que mon magnifique ensemble du Théâtre Bolchoï me montrait chaque fois que je dirigeais des représentations avec eux en Russie ou en tournée en Europe. Tant à Toulouse qu'au Théâtre du Bolchoï, j'invitais régulièrement des chanteurs et chefs d'orchestre ukrainiens. Nous n'avons même jamais pensé à nos nationalités. Nous aimions faire de la musique ensemble. Et c'est toujours le cas. C'est pourquoi j'ai lancé le festival Franco-Russe à Toulouse, pour montrer à tous que les peuples de France et de Russie sont liés historiquement, culturellement, spirituellement, musicalement et que je suis fier de cette connexion entre nos deux grands pays que j'aime. Ce festival est aujourd'hui contesté par les autorités de la ville de Toulouse. C'est dommage ! Je crois que ce festival peut faire plus en construisant des ponts qu'en paroles politiques.

Ces derniers jours, j'ai été témoin de quelque chose que je pensais ne jamais voir de ma vie. En Europe, aujourd'hui je suis obligé de faire un choix et de choisir l'une de ma famille musicale plutôt qu'une autre. On me demande de choisir une tradition culturelle plutôt qu'une autre.
On me demande de choisir un artiste plutôt qu'un autre.

On me demande de choisir un chanteur plutôt qu'un autre. 
On me demandera bientôt de choisir entre Tchaïkovski, Stravinsky, Chostakovitch et Beethoven, Brahms, Debussy. Cela se passe déjà en Pologne, pays européen, où la musique russe est interdite.

Je ne peux pas supporter d'être témoin de la façon dont mes collègues, artistes, acteurs, chanteurs, danseurs, réalisateurs sont menacés, traités de manière irrespectueuse et victimes de la « culture d'annulation ». En tant que musiciens, nous avons une chance et une mission extraordinaire de garder la race humaine bienveillante et respectueuse les unes envers les autres en jouant et en interprétant ces grands compositeurs. Nous, musiciens, sommes là pour rappeler à travers la musique de Chostakovitch les horreurs de la guerre. Nous, musiciens, sommes les ambassadeurs de la paix. Au lieu de nous utiliser, nous et notre musique, pour unir les nations et les peuples, nous sommes divisés et ostracisés.

En raison de tout ce que j'ai dit ci-dessus et d'être contraint de faire face à l'option impossible de choisir entre mes musiciens russes et français bien-aimés, j'ai décidé de démissionner de mes fonctions de directeur musical du Théâtre Bolchoï à Moscou et de l'Orchestre National du Capitole de Toulouse avec effet immédiat.

Cette décision devrait confirmer à toutes les personnes concernées que je suis une personne très chanceuse, de pouvoir connaître les artistes du Théâtre Bolchoï et les musiciens de l' Orchestre National du Capitole de Toulouse. C'est toujours un privilège de faire de la musique avec tous les merveilleux artistes de ces deux institutions et je serai toujours à leurs côtés en tant que MUSICIEN !!!!!

TUGAN SOKHIEV

Site de l'ONCT : onct.toulouse.fr/

Partager par emailImprimer

Derniers articles