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Trois questions à Patrick Foll, directeur du théâtre de Caen - « Le rapport de la cour des comptes est un signal d’alarme sur l’emploi artistique »

 
Dans un rapport publié le 29 mai analysant « Le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant » (1), la Cour des comptes s’inquiète de la diffusion et du nombre trop faible de représentations. « En France, les spectacles tournent peu ou mal » : un tel constat avait déjà été dressé en 2004 dans un précédent rapport. Patrick Foll est le directeur du théâtre de Caen, une institution particulièrement dynamique et pluridisciplinaire, avec une saison proposant opéras, concerts, danse, musiques du monde, jazz, music-hall. Il réagit au diagnostic de la Cour des comptes.
 
Vu de Caen que vous inspire ce rapport ?

Le constat est exact. On joue moins et la durée de vie des spectacles est plus courte dans un contexte où il y a toujours autant de créations. Pour ne parler que d’opéra, quand j’ai pris la direction du théâtre de Caen il y a 20 ans, je programmais 6 titres avec 12 à 15 lever de rideau. Aujourd’hui j’en programme 3, avec au mieux 8 lever de rideau. Chaque année, on réduit. Evidemment, les opéras donnent du travail à de nombreux métiers et ce rapport est un signal d’alarme sur l’emploi artistique. Créer c’est très bien, mais jouer c’est très important aussi.

Que répondez-vous quand le rapport relève que « rien n’a véritablement été fait pour redéfinir l’équilibre entre création et diffusion »  ?

Je donne l’exemple du projet de « Cupid and Death », de Matthew Locke, monté cette saison par Sébastien Daucé avec son Ensemble Correspondances (en résidence à Caen). Nous avons ressuscité ce masque anglais dans sa forme totale en le portant à 50/50 avec le Centre international de création théâtrale (CICT), la maison-mère du Théâtre des Bouffes. Chacun a fait jouer son réseau et nous avons trouvé des coproducteurs comme Château de Versailles Spectacles, l’Opéra de Rennes, l’Atelier Lyrique de Tourcoing, le château d’Hardelot et les Théâtres de Rouen et de Compiègne. Ce spectacle qui est une création caennaise a tourné, avec 7 dates à Paris, et au total 22 représentations. Et ce n’est pas fini, puisque le spectacle va encore tourner l’année prochaine. Voilà un projet tout à fait original qui peut être cité en modèle.

Et le rôle de l’Etat dans tout ça ?

En dehors de Paris, l’Etat n’est pas un acteur de l’opéra. C’est plutôt l’apanage des mairies et cela s’explique notamment par l’histoire de chaque ville. C’est le cas à Caen qui a une longue tradition lyrique. L’Etat a laissé les choses se faire et a accompagné le mouvement en labellisant les salles. On a ainsi six théâtres labellisés « opéra national de région », mais au sein duquel l’état est ultra minoritaire, quatre Théâtres lyriques d’intérêt national et trois Scènes conventionnées, dont le théâtre de Caen. Les 25 autres salles françaises ont leur vie propre. A mes yeux, l’Etat n’a pas une vision claire sur l’enjeu et le devenir des salles de spectacles. Pour le théâtre de Caen, l’Etat a un regard uniquement artistique sur l’opéra. Il s’assure d’une certaine durée de vie des productions. Ce qui me tient à cœur aussi évidemment. Sans la terrible année COVID, « Le Ballet Royal de la Nuit » par exemple aurait dû être joué quatorze fois, en dehors en Caen.
 
Propos recueillis par Thierry Geffrotin le 31 mai 2022

(1) www.ccomptes.fr/fr/publications/le-soutien-du-ministere-de-la-culture-au-spectacle-vivant
 
Prochains rendez-vous musicaux du théâtre de Caen les 8 et 9 juin, avec l’Orchestre Les Siècles (dir. F.X. Roth) &  Bertrand Chamayou (le 9) : theatre.caen.fr/tous-les-spectacles

Photo © Philippe Delval / théâtre de Caen

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