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Trois Questions à Adrien La Marca – Un nouveau héros de l’alto

Depuis sa Révélation aux Victoires de la Musique 2014,  sept ans après le triomphe d’un autre altiste, Antoine Tamestit, Adrien La Marca prodigue la sonorité profonde de son magnifique Guadagnini dans les grandes pages du  romantisme allemand, mais l’emploie également à la découverte de répertoires plus rares comme il vient de le prouver par son premier disque consacré à la Sonate de Rebecca Clarke paysagé avec des œuvres anglaises de Dowland à Britten, tout juste paru à La Dolce Volta (1) Une œuvre magnifique qu’il inscrit au cœur de son concert à Gaveau, le 17 février, avec le pianiste Thomas Hoppe. Venez écouter ce nouveau héros de l’alto français, un instrument décidément gâté chez nous si l’on songe à Lise Berthaud, cette autre grande magicienne de la clef d’Ut.

Parmi les grands altistes avec lesquels vous avez étudié, qui vous a le plus apporté ?

Adrien LA MARCA : Je ne peux répondre par un singulier. Commençons par le début. Lorsque je suis entré au Conservatoire National Supérieur de Paris, j’ai intégré la classe de Jean Sulem. Je suis demeuré son élève durant quasiment six années, c’est vous dire tout ce qu’il m’a appris, et combien j’appréciais son enseignement – d’ailleurs nous avons conservé un très bon contact. Puis je suis allé étudier avec une  altiste russe  qui enseignait à Leipzig,  elle m’a apporté beaucoup  pour le développement de l’expressivité, mais tout cela s’est trouvé résumé lorsque je suis allé me perfectionner à Berlin auprès de Tabea Zimmermann. C’est une musicienne qui a tout joué,  elle a fait carrière si tôt, elle a été la plus jeune titulaire d’une classe d’alto en Allemagne,  son expérience, son répertoire incroyable, ses qualités humaines ont fait de ma rencontre avec elle un moment clefs dans ma vie de musicien et pas seulement d’altiste.

Elle m’a fait confiance très tôt, nous jouons parfois ensemble, encore récemment à Wigmore Hall, et je continue de lui demander des conseils, son avis m’importe toujours autant. Je vais bientôt jouer à Berlin à l’occasion de la sortie de mon disque, elle sera dans le public et je sais qu’elle amènera d’autres altistes avec elle. Il y a une certaine collégialité entres les altistes, une « bonne ambiance ». Nous communiquons volontiers entre nous, nous sommes moins absorbés que les violonistes dont le répertoire soliste est plus étendu, qui se trouvent plus facilement confrontés à un certain isolement au cours de leur vies de musiciens.

Et puis nous autres altistes partageons un but commun : rendre son rang à un instrument qui a été longtemps plutôt maltraité, et faire découvrir tout son potentiel expressif. L’alto se prête à bien des styles de musique différents. Je retrouve cette forte cohésion chez les violoncellistes. Historiquement l’alto occupe une place décidément particulièrement. Après le triomphe et le déclin de la viole de gambe, une fois l’ère baroque achevée,  les compositeurs du classicisme aimèrent particulièrement son timbre qui la rappelait en partie. Mozart et Haydn ont écrit dans leurs quatuors des parties d’alto formidables, elles occupent la place centrale du jeu, elles décident de l’harmonie, elles soutiennent les structures et leurs lignes mélodiques sont souvent aussi inspirées que celles du premier violon. C’est au sein des quatuors classiques que s’est fondé une tradition de l’alto, un art des altistes qui aboutira au début du XXe siècle à quelques grandes figures. Je révère  Lionel  Tertis dont le jeu bouleversait Arthur Rubinstein. Il avait un amour absolu pour la nature si spécifique du son de l’alto, il a tout fait pour en étendre le répertoire, on lui a écrit nombre de concertos et d’œuvres chambristes, l’homme était aussi fascinant que l’artiste émouvant. Puis évidemment William Primrose a démontré qu’on pouvait tout jouer avec un alto, sa virtuosité insolente a fixé de nouveaux standards, et anticipé la floraison de tous ces grands altistes parus depuis, Yuri Bashmet, Kim Kashkashian,  Tabea Zimmermann, Gérard Caussé, Bruno Giuranna … , la liste n’est pas exhaustive.

Adrien La Marca © Bernard Martinez
 
Parlez nous de votre expérience au sein du Quatuor formé par Renaud Capuçon en hommage au Quatuor Busch.

A.L.M. : Quelle joie de faire partie de ce projet qui rend hommage à Adolf Busch ! Je pense que nous avons tous des agendas plutôt chargés et c’est ce qui nous a forcé à commencer à répéter ce répertoire particulièrement exigeant – les ultimes quatuors de Beethoven ou de Schubert – une année et demie avant de donner le premier concert.  Un quatuor, cela ne s’improvise pas. Il faut créer  une cohésion, dans la sonorité comme dans la conception, une puissance  dans l’émotion et une profondeur dans le son. Nous avons donné un concert au Musikverein de Vienne en présence du petit-fils d’Aldof Busch, il était touché, et nous donc ! Cette expérience se déroule sur trois années, elle me permet d’aborder la vie de « quartettiste », nous n’avons pas la prétention d’être semblable aux quatuors « constitués » qui travaillent chaque jour, dont les membres vivent dans un rapport si intime, mais c’est une expérience assez incroyable de « tenter » un quatuor, de parvenir à présenter ces œuvres essentielles dans un travail que nous espérons abouti.
 
Au centre de votre prochain concert à Gaveau le 17 février, et aussi de votre disque, l’un comme l’autre avec le pianiste Thomas Hoppe, on trouve la Sonate de Rebecca Clarke qui sera pour beaucoup une sacrée découverte. Depuis quand jouez vous cette œuvre magnifique ?

A.L.M. : Depuis assez longtemps en fait. C’est une des premières œuvres que j’ai abordées au Conservatoire de Paris. J’avais seize ans, je devais passez une audition de classe comme tout élève, et mon professeur Jean Sulem m’a demandé si je connaissais cette pièce. Il m’a montré la partition et je l’ai tout de suite travaillée en vue de l’audition. Elle est toujours restée à mon répertoire, je l’inscrivais souvent au programme de mes concerts et progressivement je me suis rendu compte de son impact sur le public. Même lors de concerts où je jouais l’«Arpeggione» de Schubert ou les Märchenbilder de Schumann, les gens venaient me voir après en me disant : « mais c’est génial cette sonate, on ne la connaissait pas, vous allez l’enregistrer ? ». Finalement j’ai articulé autour d’elle tout un programme anglais et cela aboutit à un disque qui a pris une forme d’évidence. Quelle compositrice ! Lorsqu’au début de sa carrière elle présentait ses œuvres dans des concours, les membres des jurys ne croyaient pas qu’une femme pouvait composer une telle musique ; on a même soupçonné Ernest Bloch d’être l’auteur «masqué » de cette sonate afin de remporter les deux premiers prix d’un concours à New York. Pour le concert de Gaveau j’ai voulu lier quelques partitions typiques du lyrisme anglais avec deux œuvres phares du romantisme allemand, l’ « Arpeggione » de Schubert, et les Märchenbilder de Schumann. Cela fonctionne bien et permet la découverte.

Propos recueillis  le 30 janvier 2016 par Jean-Charles Hoffelé

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(1)“English Delight”, Œuvres de Clarke, Dowland, Britten, Bridge, Harvey, Vaughan-Williams, Purcell / Adrien La Marca,  Thomas Hoppe ( 1 CD La Dolce Volta LDV 22)
 
Adrien La Marca (alto), Thomas Hoppe (piano)
Œuvres de Clarke, Purcell, Dowland, Britten, Schubert, Schumann
17 février 2016 – 20h 30
Paris-Salle Gaveau
www.sallegaveau.com/la-saison/1062/la-marca-adrien
 
 Photo © Bernard Martinez

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