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Trois femmes en un soir Une interview d’Annick Massis


Riche actualité en ce début d’année pour la soprano Annick Massis que l’on va, entre autres, bientôt retrouver sur la scène de l’Opéra de Nice pour les Contes d’Hoffmann d’Offenbach mis en scène par Paul-Emile Fourny. Concertclassic l’a interrogée à cette occasion.

Vous faite certes partie des « nominés » pour les prochaines Victoires de la Musique dans la catégorie « Artiste lyrique de l’année », n’avez-vous pas le sentiment toutefois que l’étranger vous fait plus honneur que la France ?

Annick Massis : Je n’aime pas la polémique. Lorsque j’ai chanté pour la première fois à l’Opéra - à la Bastille j’entends, car je me suis déjà produite plusieurs fois à Garnier dans la musique baroque - dans quelque chose qui fait relativement partie de mon répertoire (la princesse Eudoxie dans La Juive d’Halévy en 2007, ndlr), j’ai reçu un accueil du public qui m’a émue au plus haut point. Ça a été une très belle expérience, c’était Paris, c’était ma ville, c’était la Bastille… J’aurais été heureuse il est vrai de concrétiser un projet sur un autre beau rôle de premier plan ; ça ne s’est pas fait, c’est aussi une question de circonstances ; la direction de l’Opéra change. Tant pis, c’est un petit peu triste parce qu’il s’agit de mon pays, mais ma carrière se fait ailleurs, elle se fait bien ; j’effectue de belles rencontres, je réalise de beaux projets. Au début cette situation m’énervait un peu et puis j’ai bien lâché les choses par rapport à ça. De toute façon, on ne peut pas imaginer ne faire qu’une carrière en métropole ; ce serait totalement ridicule.

Tout le monde ne vous oublie pas cependant. Ainsi l’Opéra de Nice vous invite-t-il fin janvier pour les Contes d’Hoffmann et vous confie les trois rôles féminins de l’ouvrage. Sacré défi…

A.M. : C’est un beau défi en effet, auquel je me confronte pour la première fois. Je suis heureuse que cela se passe à l’Opéra de Nice, un lieu qui m’est cher, et avec Paul-Emily Fourny à la mise en scène et Emmanuel Joel-Hornack à la baguette, que je connais bien l’un et l’autre. Je pense que les conditions sont réunies pour que le projet soit beau, intéressant, riche. On m’a plusieurs fois proposé de chanter ces trois rôles mais j’avais toujours refusé jusqu’ici, tout en ayant très envie de le faire depuis longtemps. Quelle chanteuse ne serait pas intéressée à interpréter dans la même soirée trois personnages différents, trois personnages forts ou, pourrait-on dire, une même femme à des moments différents de sa vie ? Je dis cela car je viens de chanter Traviata en Italie.

Au niveau vocal, on dit que le rôle nécessite trois voix, ce que j’ai pu constater car c’est la troisième fois que je reprends Traviata – ça a été un vrai bonheur et je sais que ce rôle est vraiment pour moi. Venir de Traviata pour chanter Les Contes d’Hoffmann c’est très bien car cela constitue en quelque sorte une préparation. On trouve, pas complètement mais un peu, le même cas de figure dans les deux œuvres. Le premier air de Traviata est très virtuose – surtout quand on décide de faire, comme c’était mon cas, le contre-mi bémol à la fin –, ce que l’on retrouve dans le premier air d’Olympia, plus léger il est vrai. Le deuxième acte de Traviata est plus lyrique et même si la couleur est plus obscure dans Traviata ; le troisième acte des Contes avec Antonia c’est la grande amoureuse qui meurt sur la scène, les grandes phrases dans lesquelles il faut être très vigilante, très attentive aux nuances si l’on veut réussir à chanter l’œuvre jusqu’au bout. En ce qui me concerne en tout cas, c’est sur Antonia qu’il faut faire attention. Le troisième acte de Traviata est très dramatique, c’est ainsi que je le conçois. Le rôle de Giulietta dans le Contes est nettement moins dramatique et la tessiture est beaucoup plus grave. C’est là que l’on s’écarte de Traviata.

Dans le domaine discographique, vous avez participé il y a peu à un Enfant et les Sortilèges sous la baguette de Simon Rattle, enregistrement qui paraîtra au printemps. Que retirez-vous de cette expérience ?

A.M. : J’ai commencé ma saison avec ce projet et j’ai été assez étonnée qu’on me le demande après dix-sept ans de carrière. C’est plutôt dans mes cinq premières années que je l’aurais imaginé. Mais il s’agissait de Rattle, des Berliner Philharmoniker et je n’ai pas voulu passer à côté de l’occasion. J’ai éprouvé un immense bonheur ! Cet orchestre est extraordinaire ! Avec le flûtiste Emmanuel Pahud nous étions tout près l’un de l’autre pour faire, note à note, souffle à souffle, le rôle de la Princesse. Pour le Feu, rôle très virtuose, j’ai été bien aidée par Simon Rattle, très grand chef et personnage merveilleux dans les rapports humains. J’ai aussi chanté le Rossignol. C’était un vrai bonheur de me retrouver entourée de collègues français tels que François Le Roux, Jean-Paul Fouchécourt, etc. Au moins si nous ne nous voyons pas en France, nous le faisons à l’étranger !

Le printemps sera aussi le moment d’un retour à la Scala…

A.M. : Ce sera même la première fois que je me produirai à la Scala proprement dite, car la première fois que j’y suis allée le bâtiment était en travaux et j’ai chanté au Théâtre Arcimboldi. Je suis invitée pour la Comtesse de Folleville dans Le Voyage à Reims(1). Je m’étais promis de ne plus trop chanter de Rossini, mais je ne résiste pas au plaisir d’interpréter le rôle de cette Parisienne obsédée par la mode, d’autant que le spectacle est mis en scène par Luca Ronconi et que je suis entourée de collègues fabuleux. Ce sera par ailleurs l’occasion de retrouver le chef Ottavio Dantone, avec qui j’ai déjà fait Rinaldo. Je suis très impatiente, mais impressionnée aussi car je rentre à la Scala avec un Rossini…

Propos recueillis par Alain Cochard, le 19 décembre 2008

(1) Du 7 avril au 10 mai 2009. http://www.teatroallascala.org/

Offenbach : Les Contes d’Hoffmann. Opéra de Nice. Les 18, 21, 24 et 27 janvier 2009

Photo : Gianni Ugolini

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