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Tristan et Isolde au Festival Mémoires de l’Opéra de Lyon - Grande célébration et quelques déceptions - Compte-rendu

Présenté dans le cadre de la rétrospective Mémoires de l'Opéra de Lyon à côté d'Elektra dans la régie de Ruth Berghaus (1) et du Couronnement de Poppée dans celle de Klaus Michael Grüber, le Tristan et Isolde mis en scène par Heiner Müller avait été monté pour le festival de Bayreuth où il a été donné de 1993 à 1999. Cela restera l'unique mise en scène d'opéra du poète et homme de théâtre allemand décédé en 1995. Elle est reprise à l'occasion du festival lyonnais par son collaborateur de l'époque, Stephan Suschke.
 
Less is more ou plutôt en l'occurrence weniger ist mehr car avec Tristan et Isolde, plus que pour tout autre opéra, la question est toujours de savoir quoi faire de ces quatre heures d'opéra où il ne se passe en fait pas grand chose, qu'un long rite (Peter Sellars, si tu nous lis), le cérémonial d'un accomplissement. Heiner Müller a choisi de le célébrer dans un dépouillement proche de l’abstraction, lent mais intense rituel d’une reconnaissance et de l’absolu amoureux. Un vaste cube en est le cadre unique, paré et illuminé différemment à chaque acte, espace délimité et concentré sur les seuls protagonistes plutôt qu’ouvert sur des espaces de légendes et où n’apparaissent ni marins ni soldats, le chœur restant dans la coulisse. Le navire, la forêt et la dernière retraite de Tristan et Isolde ne sont peut-être qu'autant d’artefacts des étapes de leur voyage intérieur.

© Stofleth

L’épure totale du premier acte, l’espace nu admirablement rythmé par les lumières imaginées par Manfred Voss, la direction d’acteurs quasi chorégraphiée et millimétrée et la sobriété des tuniques dessinées par Yohji Yamamoto dégagent une force quasi liturgique captivante avec un petit air de famille wilsonien. La sobriété monacale ne se fait pas au prix d'une glaciation hivernale, et le deuxième acte sait d'ailleurs se faire plus émotionnel et jubilatoire sans perdre en puissance visuelle. La forêt n’y est pas d’arbres mais d’armures, armée des fantômes du propre monde des amants guerriers. Tristan et Isolde s’y cherchent et s’y trouvent dans un jeu de tâtonnements à travers les cloisons invisibles de l’interdit et dans un ballet de va-et-vient aussi solennellement processionnel qu’il suggère le charnel dans cet acte d’extase nuptiale qui nous est servi sur un plateau. Remarquables de bout en bout par leur efficacité dramaturgique, les éclairages livrent là en particulier un très beau discours sur la nuit protectrice et la lumière ennemie ; émouvant travail d’ombres et pénombres, d’obscurité blessée par l’aveuglante apparition adverse du roi Marke. Las, le souffle poétique s'épuise au troisième acte. Trop de visions de désolations post-nucléaires ont peut être lassé notre œil, ou plutôt fait la démonstration qu'entre la force du dépouillement intemporel et la neutralité prosaïque passe-partout il y a plus qu'un entracte. La magie en prend un coup malgré le grand secours des lumières dorées comme une assomption, et l'on entend ses voisins regretter que, non, finalement on n'a pas pleuré.

© Stofleth

Cette conclusion sans émotion pâtit aussi de la fatigue d'Ann Petersen, annoncée souffrante au début de la représentation et manifestement mise à l'épreuve par le Liebestod après avoir surmonté les premières heures avec une vaillance et une technique qui forcent le respect. Ce qui peut lui manquer de voix étant malade s'exprime en revanche dans une expressivité, un sens de la déclamation sans limite et une présence irradiante faisant presqu'oublier les registre mal unis et les notes escamotées ce soir là. Daniel Kirch, quoique très applaudi, est en revanche un Tristan décevant par le manque de projection voire d'endurance pour un des rôles les plus écrasants qui soient. Dans pareil cas, le salut pourrait venir de la subtilité du phrasé ou de la présence scénique, mais point. Cela contribue à la curieuse impression de duos ou chacun chante de son côté, pas vraiment connecté, et rendez-vous au point d'orgue.
 
Alejandro Marco-Buhrmester, également annoncé souffrant, campe un Kurwenal plutôt martial, fort bien chantant et timbré malgré une certaine raideur probablement passagère. Aucune réserve en revanche pour Christof Fischesser, roi Marke exemplaire de noblesse, d'autorité et d'humanité blessée, qui laisse pétrifié de gravité douloureuse après son long monologue du deuxième acte. Il réalise dans ce festival un doublé sans faute en alternant avec son rôle d'Oreste dans Elektra. La jeune soprano suisse Eve-Maud Hubeaux ne mérite pas moins d'éloges pour sa plénitude  vocale, chaude et élégante. Son appel dans la nuit du deuxième acte est une leçon de chant autant qu'une source de ravissement.
 
Alternant lui aussi avec les représentations d'Elektra, Hartmut Haenchen est à la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon. Aux même causes les mêmes effets, et la tempérance du chef tend ici aussi à émousser certains accents et retenir les embrasements. Le prélude du premier acte semble ne pas complètement éclore, et il faut attendre le cœur du deuxième acte pour que l'orchestre s'épanouisse tout à fait et gagne encore en liberté expressive au cours du dernier acte dont l'introduction sonne comme un véritable hommage à la qualité de la formation lyonnaise. Weniger ist mehr, certes, mais il a quand même manqué quelques petites choses.
 
Philippe Carbonnel

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(1) Lire notre compte-rendu : www.concertclassic.com/article/elektra-au-festival-memoires-de-lopera-national-de-lyon-la-femme-sans-mains-compte-rendu
 
Richard Wagner : Tristan et Isolde – Lyon, Opéra, 18 mars ; prochaines représentations les 25 et 28 mars et les 2 et 5 avril 2017 / www.opera-lyon.com/spectacle/tristan-et-isolde
 
Photo © Stofleth

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