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Tours - Compte-rendu - Un Amadeus bien de chez nous


Au moment où la France découvre avec retard l'art de monter les comédies musicales américaines, au Châtelet notamment, on s'aperçoit, enfin, que le genre est né sur les rives de la Seine. C'est ce qu'a démontré tout le week-end le Grand Théâtre de Tours en affichant pour la première fois sur les bords de Loire un Amadeus bien de chez nous, Mozart signé Sacha Guitry pour le texte et Reynaldo Hahn pour la musique. En 1925, nos deux compères s'intéressèrent essentiellement au dernier séjour de Wolfgang à Paris en 1778, année de la mort de Rousseau et de Voltaire : deux beaux esprits évoquent d'une plume légère la France des Lumières sans se prendre la tête.

Mais cette bonbonnière est aussi délicate à manier que la porcelaine de Marie-Antoinette ! Bernard Pisani en a superbement déjoué les pièges dans sa mise en scène qui laisse fuser les traits de l'écrivain narcissique sans brimer le lyrisme de la partition. Avec la complicité efficace de Frédéric Pineau dont les décors et les costumes évoquent avec une belle fidélité la danse sur le volcan que fut le règne de Louis XVI, il a retrouvé l'insouciance lettrée du divertissement bourgeois d'entre deux-guerres : les derniers feux de l'esprit français.

La grande difficulté aujourd'hui où nos interprètes sont trop spécialisés car les conservatoires supérieurs ont malheureusement séparé géographiquement les études musicales de l'apprentissage théâtral, c'est de retrouver cet aller et retour aussi incessant que naturel du chant à la conversation, de l'opérette à la comédie parlée. Bravo à toute l'équipe, la couture entre les deux disciplines ne se remarquant plus ! Il s'agit de variations sur un thème célèbre et porteur : en trois actes, le jeune et séduisant Mozart retrouve la noblesse du Faubourg Saint-Germain qui l'adula enfant, fait son éducation sexuelle et est réexpédié comme un ballot de linge sale à Salzbourg par le Baron Grimm, l'amant de Mme d'Epinay bas bleu de l'Encyclopédie.

Le Baron est campé avec justesse par le comédien Jean Dalric qui tombe la perruque comme un masque, entouré des ses confrères Nicolas Djermag (Chambreuil), Jacques Lemaire et Rémy Bourgeois. Bel équilibre également côté chanteurs : le Mozart de Sophie Haudebourg roucoule à ravir sans manquer de bagout ni de ce rire chevalin et stupide dont on affuble le compositeur, face à Madame d'Epinay (Maryline Fallot), à la Saint-Pons de Karyn Aube, à la Guimard d'Orianne Moretti et à la Louise mutine de Mary Saint-Palais.

Emmanuel Trenque tient tout son monde d'une main souple assurant le lien entre fosse et plateau, communiquant à chacun, l'impeccable orchestre en tête, un ineffable bonheur à jouer... y compris la comédie. Mais toujours parfaitement en musique. Ce petit bijou ne déshonorerait pas la salle Favart !

Jacques Doucelin

Reynaldo Hahn/Sacha Guitry : Mozart – Grand Théâtre de Tours, le 25 janvier 2009



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Photo : François Berthon

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