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Tours - Compte-rendu : Le Pays de Ropartz – Une résurrection réussie
En Islande, un père (Jörgen), sa fille (Kaethe) et un marin breton (Tual), échoué lors une tempête. Remis de ses mésaventures grâce aux soins attentifs de Kaethe, Tual s’éprend de cette dernière, avec l’approbation de Jörgen. Mais le mal du pays est plus fort que tout… Tual apprend que des pêcheurs vont bientôt mettre les voiles vers la Bretagne. Il abandonne Kaethe, enceinte, et part les rejoindre. Le printemps arrive et le dégel avec lui : Tual périt englouti dans le Hrafuaga (la tourbière du Val des corbeaux). Simplissime, l’argument de l’écrivain Charles le Goffic a fourni un beau livret à Joseph-Guy Ropartz (1864-1955) pour son opéra Le Pays.
Restait à l’habiller d’une construction musicale efficace, car avec trois protagonistes et point de chœur, Le Pays ne déborde pas d’action et de rebondissements. Mais Ropartz, sorti de l’ornière franckiste et en possession d’un style très personnel à l’époque (1908-1912) où il compose son opéra, a médité la leçon des drames wagnériens, de Pelléas et Mélisande et - plus encore - d’Ariane et Barbe Bleue. Trois protagonistes ? Quatre en fait car l’orchestre du Pays, à l’instar de celui des ouvrages précités, se pose en moteur du drame et possède une force agissante et un relief pour le moins étonnants. Cela vous empoigne dès le magnifique Prélude (et non ouverture…) et vous tient en haleine tout le long d’une composition en trois actes, aussi dense que concise et équilibrée.
La curiosité envers la musique française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle a pu conduire à des exhumations d’un intérêt parfois très discutable – des rogatons qui « sentent la table et les chaussons », pour reprendre l’excellente formule de Debussy. Rien de cela avec Le Pays. On sait gré à Jean-Yves Ossonce de se faire l’avocat de cette partition. Le public a répondu très nombreux et réservé un accueil enthousiaste à ce qui était une complète découverte pour la quasi-totalité des auditeurs. Pari audacieux et remporté haut la main.
A tout seigneur… Commençons par rendre hommage au travail réalisé par Ossonce à la tête de ses musiciens. Quelle tenue, quel engagement collectif de la première à la dernière note et quel soin apportés pas les instrumentistes concernés aux nombreux soli qui émaillent la partition ! « Bluffant ! », lâche mon voisin en fin de spectacle. On ne saurait mieux dire.
Ainsi portés, les chanteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes – dans un français impeccable ! La soprano lilloise Barbara Ducret est la révélation de la production et campe une Kaethe idéale de sensibilité et d’autorité vocale. Voix d’une amplitude et d’une homogénéité exceptionnelles : elle fait honneur à un rôle exigeant tenu par la jeune Germaine Lubin lors de la création parisienne du Pays en 1913 à l’Opéra Comique. Le personnage de Tual confronte le ténor Jean-Francis Monvoisin à un rôle très éprouvant également. En dépit d’aigus parfois un peu tendus, l’artiste convainc par sa musicalité et son implication. Qualités partagées avec le beau baryton Evgueny Alexiev (Jörgen), un habitué de l’Opéra de Tours où il chantera Escamillo en fin de saison.
Dans des décors dépouillés de Denis Fruchaud et grâce à des projections vidéo de Lionel Monnier – utilisées à bon escient ! -, la mise en scène intelligente et efficace d’Alain Garichot souligne la portée universelle de l’ouvrage. « Le pays seul est fidèle à l’absent »… Tual a sans doute la nostalgie de sa chère Bretagne - et du joli minois de Mône Prigent -, mais la vision qui est ici offerte du Pays prouve que son propos dépasse de très loin ce à quoi certains commentaires régionalo-régionalistes voudraient le cantonner.
Il ne vous reste hélas plus qu’une seule occasion (mardi 29 janvier) de découvrir Le Pays à Tours. Pour tous ceux qui ne pourront en profiter, espérons que cette production sera reprise dans d’autres lieux. Pourquoi Nancy par exemple n’y songerait-il pas ? Le Pays y fut créé en 1912 et Ropartz dirigea pendant de longues années le conservatoire de la cité lorraine. Et pourquoi l’Opéra Comique ne lui ferait-il pas également une place ? Il n’y aurait là que juste retour des choses. Car, pour paraphraser le mot de Chabrier, Le Pays est une rareté « que c’est la peine » !
Alain Cochard
Ropartz, Le Pays. Grand-Théâtre de Tours, le 27 janvier. Dernière représentation le 29 janvier 2008. Tél. : 02 47 60 20 20.
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