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Toulouse - Compte-rendu : La Dame de Pique - Une histoire de fou


Tout à la fois palais, asile d’aliénés et morgue, le décor d’Alessandro Camera exploite au maximum les ressources techniques du plateau du Capitole et porte à lui seul le sens d’un spectacle éloquent sinon tout à fait abouti. Arnaud Bernard propose une régie efficace mais parfois trop attendue – dommage de faire cabotiner Raina Kabaivanska, la canne à la main chassant Hermann, images cent fois vues,– et qui veut se dédouaner en faisant moderne dans le divertissement : une citation du Don Carlos selon Konwitschny substitue à la si versaillaise Bergère sincère (le divertissement de l’acte II) une scène des années soixante dix : Hermann et Lisa en ménage bourgeois refusent les avances d’un Eletski mafieux avant que la cuisinière ne se révèle être la Comtesse, laissant Lisa terrorisée.

Le public assez conservateur de Toulouse a d’ailleurs discrètement hué cet acte II où la Tsarine est transformée en une sorte d’épouvantail travelo déroutant. Erreur d’interprétation rédhibitoire que Stein avait également commise à Lyon en montrant la souveraine sous la forme d’une immense effigie carnavalesque. Hors La Bergère sincère puis l’apparition de la Tsarine nous parlent justement du monde de la Comtesse et sont les derniers reflets d’un univers qui, tout comme elle, se meurt. Restons beau prince : du moins à Toulouse nous avons eu le divertissement que la production lyonnaise avait coupé.

Ailleurs, Arnaud Bernard n’emploie pas assez souvent ses talents de directeur d’acteur surtout pour le personnage de Lisa où Barbara Haveman, vaillante et avec tous les moyens du rôle – sa scène de la Neva dominée jusque dans les pires tensions était exemplaire - donnait le change par une vraie présence dramatique qui pourtant ne suffisait pas à dessiner un destin. Mais pour Hermann, que pouvait faire au fond Arnaud Bernard, confronté à l’incarnation vivante du personnage ? Car depuis le temps béni de Nikhandr Khaneiv, ou de Georgy Nelepp, ou pour la sphère allemande depuis Max Lorenz, le seul véritable Hermann demeure, malgré l’empreinte convaincante laissée par Vladimir Atlantov, Vladimir Galouzine.

Il joue ici un personnage d’aliéné, comme dans la production parisienne de Lev Dodin, mais avant tout il est Hermann des pieds à la tête et dans chaque inflexion d’une voix de plus en plus corsée et véhémente. Dans l’acoustique si porteuse du Capitole on pouvait goûter toute la profondeur et l’intensité de son timbre dont la Bastille durcissait le métal. On déchantait un peu avec le Eletski générique, vibrant et sans ligne de Vladimir Chernov mais on se remboursait avec la Comtesse de Raina Kabaivanska, inattendue – elle n’a jamais été une mezzo - et convaincante : la silhouette est superbe, la voix porte toujours. Très bon Tomski de Boris Statsenko, naturel et percutant, belle Pauline de Vardhui Abrahamyan avec dans l’aigu ce vibrato si tendre – mais elle ne nous faisait pas oublier le rayonnement d’Elena Maximova dans la production lyonnaise -, des comprimari efficaces, tous emmenés par la baguette tendue et rageuse de Tugan Sokhiev, avec les musiciens du Capitole les autres héros de la soirée. Un orchestre formidable d’inspiration et de drive , donnait à cette Dame de Pique la fièvre qu’elle exige. Très léger bémol, le jeune chef ossète, pourtant rompu au monde de l’opéra, n’accorde pas assez de liberté à ses chanteurs mais peu auront incarné à ce point l’inextinguible course à l’abîme dépeinte par Tchaïkovski.

Jean-Charles Hoffelé

Piotr Ilyitch Tchaïkovski, La Dame de Pique, Toulouse, Théâtre du Capitole le 10 février 2008.

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Photo : Patrice Nin

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