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Toulouse - Compte-rendu : Atermoiements et révélation, le Capitole propose une nouvelle mise en scène d’Arabella

Comédie sentimentale ou portrait d’un monde au bord du gouffre et secoué par une incessante crise de nerfs ? Pierre Medecin range plutôt Arabella sous la seconde proposition, mais cela ne devrait pas l’autoriser à rendre l’empreinte du nazisme, contemporain de l’écriture de la partition, présente au point de s’afficher à la fin de l’opéra comme le seul horizon vers lequel se dirigent l’héroïne et son hobereau valaque. Mieux vaut d’ailleurs passer sous silence l’étrange amorce de scène de domination homosexuelle entre un quarteron de guestapistes sortis de nulle part qui est censé illustrer le vaste prélude du troisième acte.

Autre choix délicat, celui de la version Hartmann, qui devient la règle hélas : coupes sombres dans le rôle de Fiakermilli, fin du II escamoté, il paraît que Strauss trouvait la solution astucieuse, mais elle nous prive de l’ivresse d’un finale brillant, auquel d’ailleurs on pourrait sans heurt enchaîner le vaste maelström qui ouvre le III. Il n’est pas non plus certain que le choix d’un décor quasi unique, un vaste escalier de marbre noir qui occupe tout le cadre de scène, soit une solution idéale : la circulation des personnages y paraît confuse, malaisée, et dans le II les passages incontinents du bal des cochers, chichement mimé par quelques couples pochetronés, aux apartés plus intimes des héros, sont comme absorbées par cet élément monumental.

Distributions de fête : le soprano double crème de Pamela Armstrong nous fait une Arabella un peu trop placide. Le personnage n’est pas cette Comtesse des Noces flottant dans une sérénité permanente, Armstrong ne trouve jamais cette dimension méprisante, ironique, que Zdenka souligne en la disant « Fière, coquette et froide », mais une fois chauffée l’instrument est somptueux. Mandryka parfaitement rustre et d’une pièce de l’excellent Andrew Schröeder qui le chante un peu partout et toujours avec un succès égal, un Matteo ardent, d’un héroïsme vocal sidérant qui augure bien de l’évolution actuelle de Gilles Ragon. Quel chemin parcouru depuis Platée !

Nicolas Joël a eu la main heureuse pour le couple Waldner : a quatre vingt ans, Franz Mazura n’a rien perdu de sa voix tranchante, et ne laisse aucune des ambiguïtés du personnage de coté : fascinant. Et Alexandrina Miltcheva se garde bien de faire d’Adelaïde un personnage de composition, ne force jamais le trait. Les utilités sont tenues avec brio, sauf la Fiakermilli assez frustre de Martina Rüping . Elsa Maurus, en deux gestes campe une cartomancienne plus vrai que nature, les prétendants sont impeccables (et Médecin leur offre un intéressant jeux de scène au II, lorsqu’ils cherchent leurs félicités dans les cartes infernales), même si Nicolas Courjal semblait plus fragile en Lamoral qu’au Châtelet la saison passée.

En fosse Günther Neuhold dirige toujours en niant la dimension hystérique de l’œuvre, mais soigne les couleurs et son geste se fait plus dessiné avec le Capitole qu’avec le Philharmonia au Châtelet : les toulousains ne lui offrent pas la solution d’une fuite vers le tout symphonique et ce qui pouvait paraître rêche dans leur approche devient vite un atout pour la conduction dramatique de l’œuvre. Prise de rôle attendue, et véritable clou de la soirée, la Zdenka d’Anne-Catherine Gillet (lisez également l’interview qu’elle nous a accordée). Dés son entrée tambour battant, on est scié par l’urgence dramatique, la vérité du jeu de scène, la dimension de ce soprano aux aigus toujours aussi dardés mais dont le médium puissant annonce une évolution révélatrice vers les grands emplois lyriques. Cette étoile là éclipsait toutes les autres, et l’on attend avec gourmandise sa Poppée et sa Lauretta annoncées dans les mois qui viennent sur la scène toulousaine.

Jean-Charles Hoffelé

Première d’Arabella de Richard Strauss, Capitole de Toulouse, le 24 février 2006, puis les 26, 28 et 6 mars.

Photo : DR
 

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