Journal

​Tosca à l’Opéra de Rouen – Loin de Rome – Compte-rendu

Si Visconti, Strehler ou d’autres grands peuvent contempler ce bas monde de quelque part, il doivent sacrément se gausser de la désormais incontournable « note d’intention » du metteur en scène. Dans celle qu’il a rédigée pour la Tosca présentée au l’Opéra de Rouen, David Bobée confie avoir été « bouleversé par la figure de Scarpia qui n’existe que dans un rapport domination (...). Symbole du pouvoir patriarcal, il impose une autorité militaire sur tous les corps qui l’entourent et notamment celui de Tosca qu’il pénètre comme un territoire dont il se déclare propriétaire. Le discours est donc aussi féministe.» Magistral enfonçage de porte ouverte augmenté d’idées passe-partout de notre conformiste époque ... Et d’ajouter pour faire bonne mesure : « Si l’on réduit Tosca à une intrigue amoureuse, alors l’action devient décevante. Tosca, une bécasse jalouse, et Scarpia, le méchant entravant l’amour ? J’y vois d’avantage de relief ! » Prière de ne pas se souvenir de Callas et Gobbi.

S’il est un reproche à faire au spectacle que signe David Bobée, c’est bien le manque de relief, de tension dans l’approche d’une partition d’une urgence, d’une vitesse proprement cinématographiques. Loin de Rome (aspect gênant pour un ouvrage à ce point ancré dans une cité), cette mise en scène en rien indigne, juste banalement et platement moderne, est toujours mal à l’aise avec la dimension réaliste de l’opéra que Victorien Sardou inspira au grand Giacomo.
 

@ Arnaud Bertereau

Focalisation sur Scarpia donc, qui dans sa soif de domination se fait ici ennemi de l’art  – pourquoi pas ? – et, à la fin du I, condamne à l’autodafé les toiles de Cavaradossi – peintre d’évidence très porté sur les modèles noirs. Un Scarpia entouré d’une garde prétorienne (les membres d’Accentus excellemment préparés par Christophe Grapperon), en tenue GIGN prêt-à-l’intervention ou manteau de cuir noir fascistoïde pour les plus gradés. Garde d’hommes et de femmes : le Te Deum se passera de voix d’enfants ! Regrettable licence au terme d’un premier acte très mollasson, desservi par une direction d’acteur convenue, par la volonté de faire passer au second plan les sentiments qui unissent Floria et Mario et... par l’absence de vrai Scarpia.

David Bobée aurait voulu inventer le Scarpia post-#meetoo qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Qu’on se méprenne pas : Kosta Smoriginas est un remarquable chanteur, mais – le rôle dont il est question ici ne s’enfile pas comme une chemise sur le torse du premier venu –  il ne possède pas la noirceur, l’âpreté vocale qui permettraient de traduire tout la perversité, la monstruosité du personnage. La froideur très intellectuelle et l’ambiguïté métrosexuelle de l’incarnation ont leurs limites : difficile de pleinement croire à ce Scarpia beau gosse, catogan, vêtements toujours impeccablement fittés – qui de surcroît, petit détail finalement très significatif, boit de l’eau et sert un jus de grenade à Tosca. Modernité quand tu nous tiens ...
 

Latonia Moore © Arnaud Berereau

Heureusement que le rôle-titre bénéficie de la présence de l’Américaine Latonia Moore. Superbe découverte que celle d’une soprano à la carrière largement étatsunienne pour le moment (Aïda au Met en 2012). Le metteur en scène à beau faire vouloir faire passer la relation Tosca-Mario au second plan, les moments d’émotion de la soirée sont d’abord dûs à une interprète à la voix riche et aux accents sincères (prenant « Vissi d’arte », qu’elle doit pourtant attaquer couchée sur le flanc). Son suicide final tombe plutôt à plat, mais elle n’y est pour rien puisque plutôt que de se jeter dans le vide, on lui demande se figer, debout au fond du décor effondré, en une sorte de transfiguration, très discutable.
Sincérité qui appartient tout autant au Cavaradossi d’Andrea Carè, voix souple, chaleureuse, lumineuse. Le ténor se montre un peu prudent au I, un peu fatigué au III certes, mais ne lui jetons pas la pierre ; il sort tout juste d’une indisposition vocale qui ne lui a pas permis de participer à toutes les répétions et sa musicalité, son attention aux nuances de la partition rachètent tout.
On regrette que le rôle d’Angelotti soit si court lorsqu’il est tenu par un chanteur de la qualité de Jean-Fernand Setti. Excellents Spoletta et Sciarronne, respectivement Camille Tresmontant et Antoine Foulon. Sacristain un peu neutre de Laurent Kubla.
Le bilan vocal s’avère donc positif pour une Tosca qui constitue la première production lyrique a bénéficier du soutien de la Plateforme Lyrique et Symphonique portée par la Région Normandie et l’Etat.   
Quant à la fosse, on y trouve Eiving Gullberg-Jensen à la tête de la L’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et de l’Orchestre Régional de Normandie réunis. Suivi par des instrumentistes très impliqués, il fouille le détail de la partition avec un soin extrême. On voudrait plus d’urgence souvent, mais la mise en scène ne l’y aide pas, ni la présence de deux trop longs entractes.
 
Alain Cochard

Puccini : Tosca –Rouen, Théâtre des Arts, 4 mars ; prochaines représentations les 6, 8 10 et 12 mars // www.operaderouen.fr/
 
Photo © Arnaud Bertereau
Partager par emailImprimer

Derniers articles