Journal

Thierrée, Schechter, Pérez, Pite - Juste pour la fin - Compte-rendu

Une revue de genresassez aberrante, sauf pour sa dernière demi-heure, laquelle mérite de figurer dans les annales. Pas de thème, donc, ni de nom de ballet, mais des individualités présentées en galerie, pour donner l’illusion d’un nouveau monde, d’une belle ouverture d’esprit.

A retenir, le meilleur, car la Canadienne Crystal Pite se classe assurément dans le peloton de tête de la chorégraphie contemporaine : son The Seasons’s Canon (photo), créé pour le ballet de l’Opéra en septembre 2016 est une merveille de ciselure, d’orfèvrerie, de sens de l’espace, voire d’horlogerie dans ses enchevêtrements réglés au cordeau de danseurs emboîtés comme les articulations d’une même émotion, Tableaux envoûtants, qui favorisent le groupe mais permettent aussi à des individualités d’émerger, voire de briller. C’est ainsi qu’on a vu François Alu lancer des éclairs en bondissant comme un fauve, et accomplissant des prouesses dédaignées dans les concours, mais qui ont le bon goût d’enflammer la salle. La gestique impériale d’Alice Renavand,  ou  les tracés expressifs de Marie-Agnès Gillot, ici en étoile invitée, ponctuent aussi ces masses  d’appels dramatiques ou lyriques et les humanisent autant qu’elles génèrent de beauté. On en arrive même à apprécier la transposition qu’a faite des Quatre Saisons de Vivaldi en langage contemporain – donc moins accessible – le compositeur rock Max Richter, si fasciné par cette musique, comme la chorégraphe, qu’il avait besoin de l’écouter autrement. Sans parler des habits de lumière que donnent aux changements d’humeur de la nature et des hommes les éclairages de Tania Rühl. Malgré les clans, les coteries, les modes qui à tort ou à raison ont salué le reste du spectacle, là, justice a été rendue, et la salle, levée d’un seul élan, a salué un chef-d’œuvre.

The male dancer (chor. Invan Pérez), Mathieu Ganio © Agathe Poupeney - OnP
 
Pour le reste, il vaut mieux oublier. Ou non ? Lorsqu’on est accueilli par des personnages enveloppés dans des carapaces dorées, un peu papier bonbon, qui bloquent le grand escalier et se répandent dans les espaces publics de l’opéra, comme la rotonde des abonnés, devant un public resté debout, le tout dans un vacarme effroyable de bande sonore qui détruit toute audition saine, lorsqu’on constate que ce tintamarre funambulesque est signé de James Thierrée, personnage d’illustre lignée et parfois d’un génie singulier, on se demande si l’Opéra est considéré comme une place publique, mais payante !
 
Pour le reste, quelques vagues moments d’originalité rythmique dans the Art of not looking back, de l’Israélien Hofesh Shechter, confiée à des filles, d’ailleurs excellentes, et ponctué de phrases débitées en anglais d’un ton doucereux et maniéré. En troisième position, un ennui profond devant les états d’âme de quelques beaux danseurs dont Mathieu Ganio, confrontés à coups de gestes sophistiqués au port d’étonnants costumes féminins d’Alejandro Gomez Palomo, et donc à la nature même de leur art et de leur identité. Cela s’appelle The male dancer, et c’est signé Ivan Pérez. Transgression, quand ta mode nous tient, ou plutôt ne nous tient pas…
 
Jacqueline Thuilleux

logo signature article

Thierrée, Schechter, Pérez, PiteParis, Palais Garnier, 22 mai 2018, prochaines représentations les 24, 25, 26, 30 mai/ 2, 3, 7, 8 juin 2018 //www.operadeparis.fr
 
Photo © Agathe Poupeney – OnP

Partager par emailImprimer

Derniers articles