Donnée pour trois représentations à l’Opéra de Rouen quelques jours auparavant (1), la trop rare Semiramide de Rossini était proposée en concert au théâtre des Champs-Elysée. Chantée sans partition par une équipe très engagée, cette version – amputée ça et là – a très largement fait oublier la décevante production montée ici même en 2006 par Gilbert Deflo, pourtant dirigée par Evelino Pido et interprétée par Alexandrina Pendachanska.
 

© Aymeric Giraudel

 
Huit ans après sa prise de rôle remarquée à Saint-Etienne (2), Karine Deshayes (photo) réitère sa performance dans un répertoire qui lui va comme un gant. La cantatrice française restitue avec la rigueur stylistique que nous lui connaissons, les fastes de l’opera seria, du bel canto romantique et avec eux les fantômes de la téméraire Isabella Colbran, inspiratrice du compositeur et créatrice du rôle. Malgré les années, la technique continue d’impressionner, dopée par une impeccable liberté de ton et une intransigeante inventivité toujours mises au service de l’expression. Agile, puissant et superbement nuancé, son instrument reflète avec intensité les outrances, les erreurs et les failles de cette Reine de Babylone dont la complexe psychologie nous est tendue comme un miroir. Le fils dont elle s’éprend – qui finira par la tuer pour venger la mort de son père ordonnée par cette dernière – le valeureux Arsace, est tenu comme à Nancy en 2017 par le contre-ténor Franco Fagioli.

Francp Fagioli © Aymeric Giraudel

 
En raison de la particularité de son timbre et de la périlleuse fusion de ses trois registres, l’artiste argentin continue de surprendre dans un rôle depuis longtemps attribué à des mezzo-soprano et dans lequel le souvenir de Marilyn Horne reste insurpassé. Aujourd’hui plus en difficulté pour plier ses moyens aux exigence de la partition (notamment dans la longue scène du second acte « In si barbara sciagura…Si, si vendetta »), à passer sans accrocs du grave à l’aigu et à vocaliser sans rupture sur un ambitus moins étendu, le chanteur ne peut dissimuler les efforts, éviter les respirations intempestives ou masquer de vilaines sonorités qui oscillent entre le miaulement et le cancanement. Pour autant Fagioli demeure un grand musicien et une personnalité attachante dont l’engagement force encore le respect.
Giorgi Manoshvili est une très belle découverte ; ce jeune baryton-basse natif de Tbilissi accomplit des prodiges dans le rôle d’Assur, à jamais marqué par le légendaire Samuel Ramey. Les moyens sont immenses, la virtuosité imposante et la caractérisation du personnage révèle une remarquable pénétration qui atteint son paroxysme pendant la scène de folie « Il di gia cadde… Quei numi furenti », magnifiquement conduite et ornée.

Valentina Peleggi © Bo Lutoslawski

Grygory Shkarupa est un parfait Oroe à la voix sûre et bien projetée, Natalie Pérez une correcte Azema et Alasdair Kent (privé de son 1erair « Ah dov’è il cimento », mais qui s’en plaindra !) un Idreno au timbre étriqué, nasal et à l’aigu acide.
L’ouvrage, sans doute le plus beau et le plus accompli du Rossini serio, est dirigé par une quasi inconnue, Valentina Peleggi, sûre de son geste comme de sa pensée et confiante en ses troupes. De l’ouverture fièrement exécutée par un remarquable Orchestre de l’Opéra de Normandie Rouen, aux ensembles fougueux, en passant par les duos enivrants, la cheffe italienne trouve le ton juste et le tempo approprié à chaque situation, guidée par son instinct et surtout par une sensibilité sans laquelle cette histoire d’amour, de vengeance et de mort ne saurait fonctionner.

François Lesueur
 

(1) www.concertclassic.com/article/semiramide-de-rossini-selon-pierre-emmanuel-rousseau-lopera-de-rouen-raison-et-sentiments-et

(2) www.concertclassic.com/article/semiramide-lopera-de-saint-etienne-deshayes-rossinienne-nee-compte-rendu
 
Rossini : Semiramide – Paris, Théâtre des Champs –Elysées, 17 juin 2025
 
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