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Thibault Fajoles au grand orgue restauré de la cathédrale d’Amiens – L’apothéose d’une inauguration – Compte rendu

 
Situation paradoxale que celle de Notre-Dame d’Amiens et de son grand orgue. Si l’illustre et plus vaste cathédrale de France passe pour être l’exemple le plus achevé du gothique à son apogée, l’orgue de tribune est resté ignoré, même si les amateurs en connaissaient et admiraient le somptueux buffet, parmi les plus originaux et anciens de France. Ombre confirmée par une maigre discographie : un seul disque, Cathédrales, paru chez Skarbo en 2002. Son titulaire d’alors, aujourd’hui titulaire honoraire, Gérard Loisemant – l’actuel titulaire est Geoffrey Chesnier – joue Vierne, Boëllmann, Langlais, Messiaen. Ce programme dit à lui seul la nature de l’instrument transmis au fil du temps. Pour faire court : un Cavaillé-Coll de 1889 – le facteur intervenant dans le même temps sur l’orgue de chœur, dissimulé dans les boiseries des célèbres stalles de style flamboyant finissant (début XVIe), ensemble d’ébénisterie le plus considérable conservé en France –, ce grand orgue ayant été entièrement démonté en 1918 à la suite de bombardements allemands, entreposé en Normandie (Eu), puis remonté et modifié par Roethinger à partir de 1936. S’ensuivit un relevage en 1965, avec concert inaugural d’André Fleury (1).
 
Restauré ... et augmenté !
 
Après cinq années de travaux, l’instrument de nouveau restauré et augmenté a été inauguré le 31 octobre 2025 par Daniel Roth, titulaire émérite à Saint-Sulpice, Paris. Il compte aujourd’hui 70 jeux, avec en plus des quatre plans sonores antérieurs : Positif de dos, Grand-Orgue, Récit expressif et Pédale, deux nouveaux plans « flottants » : Grand-Chœur et Écho. Pour le détail de cette restauration supervisée par Éric Brottier et Thomas Monnet, techniciens-conseils, menée conjointement par les manufactures Muhleisen, Gerhard Grenzing et Denis Lacorre, mais aussi pour l’histoire du lieu et de l’instrument depuis 1422, on consultera avec intérêt le riche dossier de presse accessible sur le site du Ministère de la Culture, avec possibilité de télécharger un plaquette superbement illustrée (2).

 

Le Cavaillé-Coll de la cathédrale d'Amiens © Mirou
 
Une inauguration en sept concerts
 
Les festivités d’inauguration – immense succès public, avec également pour le concert de clôture une nef comble – ont offert aux Amiénois et amateurs venus souvent de loin pas moins de sept concerts d’une grande diversité : Daniel Roth ; Thomas Monnet (Cavaillé-Coll de St-Maurice-de-Bécon, Courbevoie) ; François Ménissier (Saint-Nicolas-des-Champs, Paris, rapporteur auprès de la Commission des Monuments Historiques – avec conférence) ; Ghislain Leroy (cathédrale de Lille, directeur du CRR d’Amiens Métropole) et Romain Leleu à la trompette ; Carolyn Shuster-Fournier (Trinité, Paris) sur des textes de Jules Verne, Nantais qui vécut plus de trente ans à Amiens et y mourut ; Georges Schmitt à la flûte de pan et à l’orgue Francis Roudier (Versailles).
 
L’ultime concert associait le remarquable Thibault Fajoles (photo, titulaire-adjoint au grand orgue et à l’orgue de chœur de Notre-Dame de Paris) et le Chœur Grégorien de Brie-Comte-Robert, que dirige Jean-François Heyer – l’actuel recteur de la cathédrale, Don Régis Evain, et curé de la paroisse Saint-Jean-Baptiste (Amiens centre), organisatrice du concert, est passé par cette jolie cité de Seine-et-Marne. L’un des chiffres souvent évoqués pour faire ressentir l’immensité de la cathédrale est celui de son volume intérieur : 200 000 m3, soit presque le double de celui de Notre-Dame de Paris. Les treize voix du Chœur, même légèrement amplifiées, eurent naturellement un peu de mal à s’imposer dans un tel espace, contrairement à l’orgue qui, bien qu’au nombre des plus haut perchés de France (le bas de la tribune commence à quelque 17 mètres) rayonne avec aisance, dans la puissance de son tutti comme dans les registrations de détail, la démesure du lieu n’altérant en rien l’intelligibilité de l’instrument, superbement harmonisé.

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© Mirou

 Concision et vive éloquence
 
Du moins le programme d’une parfaite cohérence présentait-il l’intérêt d’une alternance chœur-orgue, certes déséquilibrée mais donnant l’occasion d’entendre Thibault Fajoles improviser dans des styles très divers, avec concision et une vive éloquence. Le Jesu redemptor omnium initial, chanté a cappella à distance, fut suivi du premier mouvement de la Symphonie-Passion de Dupré : Le Monde dans l’attente du Sauveur (l’hymne Jesu redemptor omnium surgit dans la section notée Plus lent sur Hautbois et Dulciane), parfaitement en situation à la veille de Noël, comme l’ensemble du programme. Le Rorate coeli desuper chanté avec le soutien souple, discret mais intensément porteur de l’orgue fut suivi de Hodie Christus natus est, antienne introduisant le Magnificat : l’alternance permit de goûter quantité de registrations particulières, comme tout au long du concert. Ainsi dans les variations de Balbastre sur Quand Jésus naquit à Noël, anches et cornets, notamment, sonnant avec superbe depuis la haute tribune.
 
Tout l’apparat de l’orgue restitué

 
L’idée de faire chanter par le public À minuit fut fait un réveil eut peu de succès mais lui permit d’en mémoriser le timbre (mélodie), puis celui du fameux Noël Suisse (Il est un petit l’ange), sur lesquels repose la Sortie sur des noëls de César Franck. Cette élégante page d’esprit populaire et festif fut suivie d’un Puer natus est vocal et instrumental, ce dernier signé Éric Lebrun – du Petit Livre d’orgue pour le Mesnil-Saint-Loup. L’Ave maris stella poursuivit avec bonheur l’alternance, les improvisations arborant un style « moderne » français très évocateur aux claviers. À une version sobre, a cappella et un peu trop complexe du Coventry Carol (XVIsiècle) fit suite un autre Noël de Balbastre : Tous les bourgeois de Châtres, avec alternance et des couleurs à l’orgue très différentes du Balbastre de fin de première partie, grand-jeu excepté, naturellement. Thibault Fajoles ayant détaillé avec talent et inventivité la riche palette au fil des pièces et improvisations, il manquait pour conclure une page d’envergure pour apprécier tout l’apparat de l’orgue restitué : ce fut en bis l’irrésistible Final de la Sonate n°1 de Guilmant, enthousiasmant de grandeur, de jubilation et de splendeur sonore.
 
 
Michel Roubinet
 

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Amiens, cathédrale Notre-Dame, 14 décembre 2025
amis-cathedrale-amiens.fr/nos-evenements/

 
(1) Inventaire National des Orgues
inventaire-des-orgues.fr/detail/orgue-amiens-cathedrale-notre-dame-fr-80021-amien-ndamev1-t/
 
(2) Dossier de presse de la restauration du grand orgue
www.culture.gouv.fr/regions/drac-hauts-de-france/politique-et-actions-des-services/pole-patrimoines-et-architecture/conservation-regionale-des-monuments-historiques-crmh-des-hauts-de-france/dossier-de-presse-le-reveil-du-grand-orgue-de-la-cathedrale-d-amiens
 
 
Site de Thibault Fajoles
https://thibaultfajoles.com

Photo © thibaultfajoles.com

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