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Theodora de Haendel au Théâtre des Champs Elysées - Atout choeur - Compte-rendu

Lointainement inspiré d’une « tragédie chrétienne » de Corneille, Theodora (1750), l’avant-dernier oratorio de Haendel, et son préféré, si l’on en croit son librettiste, n’était originairement pas destiné à la scène. En 1996, cependant, dans le cadre du Festival de Glyndebourne, Peter Sellars en avait proposé une poignante adaptation scénique, qui n’hésitait pas à dénoncer l’univers concentrationnaire américain comme le recours aux injections létales. Une seule réussite, hélas, n’a pas force de loi, comme on a pu le constater avec la pesante production salzbourgeoise de 2009, scénographiée par Christoph Loy…

Pour sa quatrième incursion dans l’univers de Haendel, Stephen Langridge (le fils du très regretté ténor Philip Langridge) se montre plus sobre que Loy mais nettement moins percutant que Sellars. Certes, il évite l’écueil du clin-d’œil obligé à l’actualité (l’action de l’oratorio se déroulant à Antioche, en Turquie, on pouvait tout craindre), mais non pas, du coup, celui de la littéralité pataude : lors du mystique duo « To thee, thou glorious son of worth », l’un des sommets éthérés de l’œuvre, Philip Jaroussky se retrouve ainsi tout penaud en caleçon… Fallait-il contourner l’anecdote, l’une des rares à nourrir la dramaturgie de l’ouvrage (le personnage chanté par Jaroussky sauve l’honneur de la Chrétienne Théodora en prenant sa place dans le lupanar où elle a été reléguée) ? Sellars avait évité le hiatus en se concentrant davantage sur la partition que sur le livret. Langridge, lui, hésite entre sobriété distanciée et illustration au premier degré, pour ne choisir finalement aucune ligne de force, restant à la fois trop trivial et statique. Ces soldats qui jouent aux fléchettes, ces robes de soirée qu’on se renvoie de main en main, ces coups de pied au derrière n’apportent rien à la compréhension de l’ouvrage et contredisent la musique. N’étaient les superbes éclairages de Fabrice Kebour (lumière dorée rasant les parois coulissantes, bougies tremblotantes évoquant les catacombes), on fermerait volontiers les yeux…
 

Du côté des oreilles les satisfactions sont plus grandes, même si la distribution semble bizarrement conçue. Ainsi, le centre de gravité vocal de trois des cinq protagonistes mériterait d’être revu à la baisse : Théodora, Irène et Didymus réclament des timbres plus sombres que ceux de, respectivement, Katherine Watson, Stéphanie d’Oustrac et Philippe Jaroussky. Le rôle de Didymus est le seul que Haendel ait écrit expressément pour le castrat alto Gaetano Guadagni, futur créateur de l’Orfeo de Gluck – et, certes, Jaroussky n’a rien d’un véritable alto, mais son chant reste d’un tel raffinement (l’ineffable messa di voce ouvrant «The raptur’d soul » ) et d’une telle souplesse (« Kind Heaven », d’un lyrisme très italien) qu’on lui pardonne volontiers de transposer vers le haut la plupart de ses reprises. Les deux dames se chauffent plus lentement : si d’Oustrac a le mérite de véritablement incarner le personnage sublime mais « abstrait » d’Irène, en lui conférant une belle ferveur dans les deux derniers actes, l’émission apparaît trop nerveuse, pas assez étale, pour le premier. La musicalité exquise de Watson supplée en partie à la monochromie d’un timbre cristallin, mais, même si la scène de la prison reste bouleversante, la voix demande encore à « s’ouvrir ».

Le cas de Kresimir Spicer est strictement inverse à celui des précédents : ayant débuté sa carrière comme baryton, il possède les couleurs adéquates pour Septimius mais non la légèreté de l’aigu (forcé) ni l’aisance dans les vocalises (détimbrées) réclamées par ce rôle redoutable. Quant au Valens du jeune Callum Thorpe, sonore et scéniquement crédible, il pâtit d’un placement assez nasal.

William Christie, à son habitude, sait choyer ses interprètes par le biais des tempi et de la dynamique. Si, à Glyndebourne, il dirigeait l’Orchestre de L’Age des Lumières, il est ici à la tête de « ses » Arts Florissants – d’une sonorité plus chaude mais d’une précision moins constante (cela cafouille un peu du côté des cordes, dans les airs de Valens, notamment). Lyrique et riche d’une infinité de nuances, sa direction privilégie toujours un certain hédonisme, au détriment de l’ossature, de l’architecture : certains moments frisent la perfection (le duo final) quand d’autres s’affaissent ou manquent de caractère (les récits accompagnés).

C’est finalement lors des pages chorales que notre cœur bat le plus fort : en dépit de quelques décalages, inhérents à la scène, le valeureux chœur des Arts Flo’ atteint parfois de tels sommets de ferveur (« Come, mighty Father ») qu’il nous convaincrait presque, comme les héros, de subir le martyre…

Olivier Rouvière

Haendel : Theodora – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 13 octobre, prochaines représentations les 16, 18 et 20 octobre 2015
www.theatrechampselysees.fr
 

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