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Théâtre / « Collaboration » de R. Harwood au Théâtre des Variétés - Passionnant face à face - Compte-rendu


Le metteur en scène Georges Werler (dont on connaît la connivence au théâtre avec Michel Bouquet) a eu l’heureuse idée de monter « Collaboration » au Théâtre des Variétés. Le sujet de la pièce du Britannique Ronald Harwood relate l’épisode connu de la gestation de l’opéra La Femme silencieuse de Richard Strauss, créé avec succès au Staatsoper de Dresde le 24 juin 1935 sous la baguette de Karl Böhm, puis retiré au bout de la troisième représentation en raison de la judéité de son illustre librettiste Stefan Zweig. Ce dernier quittera l’Autriche en 1934 pour Londres puis le Brésil où il se suicidera avec sa seconde femme en 1942. C’est ce pan d’histoire qui est défendu admirablement par des comédiens hors pair totalement investis dans leur rôle, en particulier le trio constitué de Michel Aumont (Richard Strauss), Didier Sandre (Stefan Zweig) et Christiane Cohendy (Pauline de Ahna, épouse du compositeur).

La vérité historique est globalement respectée à travers une progression dramatique conduite avec efficacité où l’on entend à chaque séquence des extraits amplifiés du Chevalier à la rose, d’une Vie de Héros, des Quatre Derniers Lieder, et bien sûr de La Femme silencieuse, mêlés à des échos de bombardements ou de manifestations.

Le spectacle débute dans l’intimité bourgeoise du couple Strauss à Garmisch, évoluant dans un décor très cosy dû au scénographe Agostino Pace. On y voit les deux protagonistes se chamailler non sans drôlerie à l’image d’une comédie de mœurs, dans l’attente fébrile de Stefan Zweig arrivant de Salzbourg. Emprunté, timide, presque effacé, Zweig est mal à l’aise confronté au plus grand musicien allemand de l’époque. Didier Sandre fait une composition tourmentée, très proche de la prise de conscience du romancier face aux persécutions de plus en plus prégnantes. Michel Aumont caractérise avec une prestance imposante un personnage erratique, peu sensible aux événements qui pourraient nuire à son confort psychologique et à son génie de créateur.

Au fil de l’action, son identification au rôle prend pourtant une dimension presque tragique lorsqu’il est confronté aux injonctions d’un régime l’obligeant à « commettre » l’Hymne olympique pour protéger ses liens familiaux avec sa belle-fille juive. La lecture de la lettre de dénazification à Munich, in fine, est, sur le plan scénique, un moment d’anthologie où Michel Aumont dégage une émotion qui laisse la gorge serrée jusqu’à ce que le rideau tombe. En épouse de Strauss, Christiane Cohendy, par ses extravagances mais aussi son bon sens, rend bien compte de la forte personnalité de cette femme hors normes. Les autres comédiens sont tous à louer : l’officier nazi Hinkel, émissaire de Goebbels (un Eric Verdin glacial), Lotte Altmann, la secrétaire puis épouse de Zweig (interprétée avec élégance et fragilité par Stéphanie Pasquet).

L’humanité de Zweig, mais aussi l’égoïsme inconscient des Strauss transparaissent tout au long de ce spectacle très réussi qui pose de multiples questions sur la place de l’art dans la société, le rôle de l’artiste face à la politique et, plus largement, sur le sens de la vie et sur notre propre responsabilité au regard de l’Histoire. Un grand moment de théâtre où la musique est sans cesse présente. A ne manquer sous aucun prétexte.

Michel Le Naour

« Collaboration », pièce de Ronald Harwood - Paris, Théâtre des Variétés, 7 septembre 2011

Théâtre des Variétés

7, Bd Montmartre

75002 – Paris

Tél. : 01 42 33 09 92

www.theatre-des-varietes.fr

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Photo : DR

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