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Terre et Cendres de Jérôme Combier à Lyon - Le théâtre de la guerre, les cendres de la musique - Compte-rendu

Un grand-père, accompagné de son petit-fils devenu sourd suite aux bombardements, va rendre visite à son fils pour lui annoncer la mort de tous les siens. Comment annoncer à un proche le décès de sa famille à la guerre ? C'est le sujet magnifique au cœur de Terres et cendres, roman d'Atiq Rahimi, déjà adapté au cinéma par l'auteur en 2005. Pour traduire en musique ce long chemin vers l'acceptation des morts, le compositeur Jérôme Combier a choisi une forme hybride, où seules les voix du petit-fils et d'un choeur se mêlant à l'action sont chantées, tandis que les deux rôles principaux du grand-père et du conteur restent parlés.

Présenté dans le cadre de la Biennale Musiques en Scène, le résultat, aux frontières de l'opéra et de la musique de scène, ne parvient jamais vraiment à trouver son équilibre. L'orchestre, majoritairement composé de percussions pour faire écho à la musique afghane, semble au propre comme au figuré rester dans son coin, sur le côté de la scène, se livrant à des expérimentations scientifiques (« un tempérament de douze demi-tons égaux enrichi partiellement de quarts de tons », dixit le compositeur). Les musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon, dirigés par Philippe Forget, font ce qu'ils peuvent, mais la maladresse de l'écriture vocale, sans doute pour traduire la surdité de l'enfant, et le rôle actif du choeur chantant les émotions des personnages à leur place ne font qu'accroître le sentiment de confusion.

Mais si la musique nous laisse perplexe, quel grand homme de théâtre reste Yoshi Oida ! Après avoir posé les paysages dévastés de l'Afghanistan à travers un champ de ruines que traversent les personnages dans de magnifiques costumes aborigènes, il réussit à transformer le contexte historique en véritable conte initiatique. L'errance des personnages au milieu des décombres, subtilement chorégraphiée, devient la quête symbolique de leur propre chagrin. Dans un moment magnifique, les murs lacérés en fond de scène se révèlent sous les lumières de Christophe Chaupin telles des enluminures cachées dans un conte ancien. Ce qui n'aurait pu être qu'un naturalisme grossier se transforme alors en parabole universelle.

Plutôt qu'une tentative d'opéra (une « musique quasi-orchestrale » comme l'appelle Jérôme Combier dans le dossier de presse), Terre et Cendres aurait gagné à n'être qu'une pièce de théâtre portée par une musique de scène digne de ce nom.

Luc Hernandez

J. Combier : Terre et Cendres (création mondiale), Lyon, Théâtre de la Croix-Rousse, 10 mars 2012
Biennale Musiques en Scène, jusqu’au 23 mars ; rens. : www.2012.bmes-lyon.fr/programme.html

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Photo : DR
 

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