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Teodor Currentzis inaugure le Festival de Saint-Denis – La respiration du monde – Compte-rendu

Le penchant du Festival de Saint-Denis pour la musique chorale n’est plus à souligner. Il s’est exprimé une fois de plus cette année lors de la soirée d’ouverture, avec un programme pour le moins original puisqu’il associait les Motets BWV 225, 229 et 227 de Bach à Coro de Luciano Berio, ouvrage que l’on n’a pratiquement jamais l’occasion d’entendre, en grande partie du fait de l’extrême difficulté d’une partition (datée de 1974-1976) qui réunit – et mêle – chœur et orchestre. La proposition s’avérait d’autant plus tentante que Teodor Currentzis (photo) en était le maître d’œuvre, à la tête du Chœur Musicaeterna de l’Opéra de Perm (formation créée par le chef grec en 2004) et du Mahler Chamber Orchestra.
Les seuls Bach pourraient suffire au bonheur de l’auditeur tant Currentzis s’y révèle absolument maître de la polyphonie et d’une densité saisissante. De bout en bout on reste admiratif d’un sens de la grande ligne conjugué à une incessante capacité à sonder le détail. Jamais celle-ci ne vient contrarier l’écoulement du flux musical. Aucune surcharge expressive, mais une présence au texte, au sens de mots dont le n° 5 Gute Nacht, o Wesen du BWV 227, pétri d’humilité, offre un superbe exemple - il pourrait résumer l’esprit du Bach de Currentzis.

Teodor Currrentzis © Ch. Fillieule

Contraste – au sommet ! – avec un programme qui rassemble en seconde partie les fabuleux choristes de Perm et le Mahler Chamber Orchestra pour une expérience unique. Anglais, espagnol, allemand, italien, hébreu sont les langues convoquées dans Coro, ouvrage inclassable dont les textes se réfèrent aux traditions populaires de la Polynésie, du Pérou, d’Afrique, des indiens d’Amérique, etc., avec comme trait d’union entre les courtes sections de la partition, la récurrence du vers « Venid a ver la sangre por las calles » extrait de Residencia en la Tierra de Pablo Neruda. Une sorte de refrain dont Currentzis sait tirer tout le parti expressif, comme des nombreuses combinaisons entre les choristes (une voix soliste parfois) – en position debout ou assise – et l’orchestre, lui aussi exploité de manière très inventive. Rien de composite dans l’œuvre ainsi menée, plutôt de multiples échos du monde réunis en une vaste et prenante respiration. Grande soirée hors des sentiers battus, qui s’inscrira à coup sûr dans les annales du festival.

Alain Cochard

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Saint-Denis, Basilique, 31 mai 2017 / Festival de Saint-Denis, jusqu’au 29 juin 2017 : festival-saint-denis.com/fr/home/
Photo © Ch. Fillieule

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