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Teo Gheorghiu au Festival Piano aux Jacobins – Une émouvante révélation – Compte-rendu

Depuis toujours attentifs à l’équilibre entre grands noms du piano et talents émergents, Catherine D’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan, co-fondateurs et directeurs artistiques de Piano aux Jacobins, avaient déjà donné sa chance à Teo Gheorghiu (photo, 24 ans) il y a deux ans. Les échos les plus flatteurs nous étaient parvenus de sa première apparition... Signe révélateur, son retour au festival toulousain n’aura pas tardé. On n’a pas regretté d’avoir fait le déplacement pour découvrir ce splendide musicien de la nouvelle génération - que les cinéphiles connaissent aussi car il tenait le rôle de l’enfant surdoué dans le film Vitus (2006) de Fredi Murer.
 
Né à Zurich, Gheorghiu a certes travaillé avec William Fong à la Purcell School de Londres, puis avec Gary Graffman au Curtis Institute de Philadelphie, mais lorsqu’il s’agit de désigner le maître qui a le plus compté, le nom d’Hamish Milne vient immédiatement sur ses lèvres. « Il parlait peu durant les cours, mais ... sa parole était d’or », se remémore-t-il avec une visible émotion.

La manière dont, dès l’attaque, instantanément, Gheorghiu plonge au cœur des Variations en ut mineur WoO 80 saisit littéralement l’auditeur. Et le jeune homme d’investir la partition de Beethoven avec une sonorité aussi pleine et richement timbrée que son propos s’avère mobile dans les éclairages et d’un tact exemplaire pour les transitions. Belle entrée en matière ! Mais deux opus autrement révélateurs et exigeants l’attendent durant sa première partie.

24 ans seulement ..., ne peut-on s’empêcher de penser en considérant la maturité dont il fait preuve dans les trois Intermezzi op. 117 de Brahms. Lyrisme et tendresse se dégagent d’un Andante moderato sondé avec sens harmonique peu ordinaire – l’une des qualités premières de Gheorghiu. L’auditoire retient son souffle face à tant de secrète pudeur. Porté par une main gauche bien dessinée, le si bémol mineur révèle un beau sens du sfumato dans sa partie centrale, avant que le dernier morceau ne se déploie, d’une interrogative et déchirante simplicité. « Il y plus de substance dans un silence de Brahms que dans bien des traités de philosophie », aime à dire le grand Joaquin Achúcarro ... Gheorghiu l’a déjà pleinement compris.

Pianiste remarquable certes, il est d’abord un artiste et un fabuleux peintre des sons et de l’âme. Les Scènes d’enfants suivent l’Opus 117. Après l’amère poésie brahmsienne, « les regards jetés en arrière » de Schumann se révèlent être un choix parfait, d’autant que le recueil est appréhendé dans sa variété ; fraîcheur, joie, mystère et tendresse bien sûr prenant in fine tout leur sens à la lumière d’une ultime pièce, étrange et douloureuse.

En début de seconde partie, les trois Mazurkas op. 59, racées, se souviennent de l’origine de la danse si chère à Chopin, mais traduisent autant le degré d’aboutissement de son langage avec, encore une fois, un art du timbre et un sens polyphonique aiguisé.
Autant dire que Teo Gheorghiu est armé pour appréhender les richesses des huit Etudes-Tableaux op. 33 de Rachmaninov. Ici comme depuis le début de la soirée, sa démarche fuit comme la peste les trucs et les effets. D’un jeu dense et orchestral, jamais brouillon ni saturé, il saisit chaque caractère, fait vivre chaque parcelle du texte. L’extraordinaire vibration lumineuse du n° 2, le tableau fantastique et hanté du n° 5 suffiraient pour comprendre à quel musicien et quel coloriste hors pair on a affaire.

Accueil enthousiaste du public, que Gheorghiu gratifie entre autres d’un Impromptu op. 90 n°3 de Schubert, idéalement quintessencié. Un public nombreux, au sein duquel on relève avec bonheur une forte proportion d’étudiants. Le travail de fond que Piano aux Jacobins mène depuis des années en ce domaine, avec le soutien constant de la Fondation BNP Paribas, porte ses fruits.

 
Alain Cochard

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Toulouse, Cloître des Jacobins, 8 septembre 2015
37ème Festival Piano aux Jacobins, jusqu’au 28 septembre 2016 / www.pianojacobins.com

Photo © Roshan Adhihetty

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