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Tannhäuser à l’Opéra de Lyon – Wagner chez George Lucas – Compte-rendu

 

Sans doute vaut il mieux n’avoir jamais vu d’autres mises en scène de Tannhäuser, ni écouté d’opéra de Wagner, ni même d’opéra du tout, pour se laisser prendre par cet étrange brouet intergalactique que devient sur la scène de l’Opéra de Lyon, l’aventure cruelle du chevalier-minnesänger Tannhäuser : celui-ci, dévoré par deux pulsions antagonistes, la sensualité portée à son comble avec l’asservissement aux charmes de Vénus, et la métaphysique, qui élève l’amour au-delà de la matière, incarnée par la douce Elisabeth, que l’inconduite de son héros conduira à la mort et aux portes de la sainteté, incarne une opposition en laquelle Wagner voyait un thème essentiellement allemand, comme dans le Faust de Goethe.
Une notion de rédemption sacrificielle constante dans l’œuvre de Wagner, comme dans le suicide de Senta dans le Vaisseau Fantôme et le bûcher « purificateur » de Brünnhilde, la Walkyrie. Un sempiternel renoncement au bonheur qui ne constitue pas la partie la plus saine de son œuvre mais en demeure un des plus séduisants piliers, par la force de sa magie incantatoire.
 

© Agathe Poupeney
 
Ici, donc, vus par David Hermann, voici des héros de Star Wars : le décor, signé Jo Schramm, est celui de quelque paysage perdu, désertique, brûlé ou flottant dans un univers indéterminé, où plus rien n’a véritablement de sens, sinon l’étrange conflit qui va faire de musiciens les arbitres du bien et du mal. Conflit malsonnant d’ailleurs car la problématique en semble bien désuète. Evidemment, lorsque les acteurs se présentent, comme le souhaitait Wagner, en costumes d’inspiration médiévale – laquelle peut être élaguée pour ne pas friser les ridicules –, on comprend mieux les oppositions d’amour courtois et d’amour physique, mais lorsque il s’agit de droïdes, comme Vénus, robe métallique ultracollante et courte, crâne rasé, plus proche du Z-6PO de Star Wars que d’une langoureuse séductrice, et que Tannhäuser a l’air de sortir de la Cour des Miracles, pitoyable figure dont le tourment touche peu tant il lui manque la grandeur, l’enjeu semble surréaliste.
 
En revanche, un public non averti peut prendre plaisir aux costumes proches de Mad Max et des Samouraïs pour les chevalier , sortis de l’imagination de Bettina Walter, laquelle connaît bien ses classiques mangas et heroic fantasy, sourire aux apparitions de Jawas sur leurs chars des sables, comme dans la Guerre des Etoiles, et apprécier les plans lumineux réalisés par Fabrice Kebour, qui donnent densité à ces parois rocheuses lugubres. Quelques tableaux heureusement, témoignent aussi d’idées intéressantes : ainsi, astucieux, celui où Tannhäuser évoque le discours impitoyable du pape, représenté par un vieillard sorti d’une grotte, lançant l’anathème en remuant sa bouche tandis que le héros chante de dos, ce qui permet d’alléger cette scène, laquelle n’est pas la meilleure de l’œuvre. Bonne séquence aussi avant le concours de chant de la Wartburg, où les gradins sont encadrés par des pylônes et des tours de guet métalliques, avec l’entrée des invités, qui respecte le souhait de Wagner de donner à cette scène un air de liberté et de vie et non d’en tirer un défilé quasi militaire.

© Agathe Poupeney
 
Naturellement, pas de bacchanale véritablement dansée : passage qui a toujours posé problème aussi bien à Wagner qu’aux multiples metteurs en scène qui l’ont abordée : avec notamment les créations de Rolf von Laban en 1930, à la demande de Siegfried Wagner, puis de Béjart en 1961 et de Neumeier en 1973, d’ailleurs toutes plus ou moins ratées. Le meilleur moyen de résoudre le problème étant de le supprimer. Quelques androïdes, là aussi, s’agitent vaguement en entourant la Vénus métallique, et on les regarde comme s’il s’agissait d’un jeu vidéo.
 
L’essentiel, heureusement, est ailleurs, même si l’attention en est parfois détournée par le visuel : avant les images, la musique, et elle est ici menée à un train d’enfer par la baguette de Daniele Rustioni, maître des lieux, qui fouette l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra de Lyon comme Ben Hur son char. Excitation, hystérie même d’entrée de jeu. Mais l’histoire, après tout, l’est totalement. Malheureusement, il se mêle aussi aux folies des héros une langoureuse beauté, un lyrisme qu’on peine à retrouver dans cet essoufflement permanent.
 
Les dames, ici, mènent vocalement le jeu, d’abord la magnifique Elisabeth de Johanni van Oostrum, aussi belle que souple et rayonnante. Un ange qui passe, et trépasse dans une tenue qui la fait ressembler à quelque Jeanne d’Arc. Egalement, mais son rôle est moins flatté,  la Vénus de Irène Roberts, aussi voluptueuse dans son chant que peu féminine dans sa tenue métallique et ses gestes robotisés.
 Pour les hommes, comment ne pas être sensible à la grandeur sombre de Liang Li en Landgrave, à la souplesse, poétique –  enfin – de Christian Pohl en Wolfram, à la richesse du timbre de Robert Lewis en Walther. Pour Tannhäuser, il n’en est hélas pas de même, car Stephen Gould, remplaçant vaillamment Simon O’Neill, a dû forcer tout au long du spectacle pour arracher des aigus instables à la difficulté de son rôle énorme. On sait pourtant les qualités de cet artiste aux états de service impressionnants.
 
Bref, un film étrange que cet opéra transporté dans des fantasmes plus modernes, qui de ce fait perd de sa force et se contente d’intriguer. Servi par une très belle musique, qui pourrait être signée John Williams. Ce dernier ne s’est il pas inspiré justement du mode opératoire de Wagner, avec son utilisation des leitmotiv, dans l’inoubliable partition qui a tant fait pour le succès de la saga Star Wars ?   
 
 Jacqueline Thuilleux

Wagner : Tannhaüser (Version de Paris pour l’acte I(1861), version de Dresde pour les actes II et III(1845-1868).  – Lyon, 11 octobre 2022 ; prochaines représentations les 15, 18 et 21 octobre 2022 // bit.ly/3yD6pZ6
  

 
Photo © Agathe Poupeney

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