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Tancredi de Rossini au Festival de Beaune 2017 – La relève est là ! – Compte rendu

Œuvre exigeante, réservée à des artistes chevronnés, capables de restituer les fastes d'un chant orné hérité du baroque et d'émouvoir avec une grande économie de moyens, le Tancredi (1813) de Rossini a longtemps été l'apanage de prestigieux parterres. Anne Blanchard, directrice artistique du Festival de Beaune, a décidé de rompre avec cette tradition en réunissant de jeunes talents, au risque de les jeter trop tôt dans l'arène. Le résultat aurait pu s'avérer décevant, mais c'est finalement par un triomphe que s'est terminée la soirée.
 
Le choix d'Ottavio Dantone et de son Accademia Bizantina n'est évidemment pas étranger à sa réussite. L’Italien dirige la partition avec un goût et une intelligence de chaque instant, puisant son énergie dans une narration soutenue dont l'apport des instruments anciens renforce l'aspect incisif, propre à ces ouvrages charnière entre baroque tardif et bel canto naissant. Si Dantone excelle dans les passages de bravoure, notamment dans le grand finale du premier acte, admirablement maîtrisé, il sait également tirer les armes à la toute fin de l'opéra où Rossini, en véritable pionnier, imposait pour la première fois une fin tragique conclue sur d'interminables pianissimi, véritable incongruité pour l'époque.
 
Bien qu'elle ait déjà endossé l'armure de Tancredi, la jeune mezzo italienne Teresa Iervolino (photo), récemment applaudie au Palais Garnier dans la Cenerentola (dirigée par Dantone ), n'est pas encore la rossinienne la plus célèbre du moment. Elle a cependant brillamment interprété ce rôle difficile, d'un instrument ferme et solide, étendu sur un large registre.
Après une certaine retenue au départ, la cantatrice, dotée d'un belle technique vocale et d'un style sûr, s'est très vite révélée d'une grande précision dans les vocalises, conférant à ses variations une touche personnelle, et surtout d'un engagement tout à fait adapté aux émois de son personnage. Ses marques prises, elle a démontré qu'elle est à la fois virtuose – affrontant ses deux admirables duos, l’un avec avec Amenaide, l’autre avec Argirio – et capable toucher au moment de sa mort. Après la catastrophique performance de Marie-Nicole Lemieux au TCE en 2014, T. Iervolino remet Tancredi à l'honneur et l'on s'en réjouit.

Face à cette prestation de grande qualité, la présence de Sylvia Schwartz est une merveilleuse surprise. La voix ronde et homogène de la soprano espagnole a la diction superlative et d'une expressivité à toute épreuve, de la scène de la prison « Di mia vita infelice. », au périlleux aria « Giusto Dio... Ah ! d'amor in tal momento » qui suit, a permis de hisser le rôle d'Amenaide à un degré équivalent à celui atteint par la Ciofi, ce qui n'est pas un mince compliment.
 
Notre bonheur aurait pu s'arrêter là, mais le cast comptait une autre pépite, en la personne du ténor Matthew Newlin, entendu en début de saison à Paris dans Eliogabalo de Cavalli. Depuis quand n'avions-nous pas entendu un tel Argirio au timbre aussi luxuriant, possédant une telle ligne de chant se terminant par un aigu si spectaculaire ?.... Ne reculant devant aucune difficulté et lui aussi capable de tendresse et d'émotion, le chanteur américain, longuement applaudi pour sa performance, devrait prochainement voir s’ouvrir de nombreuses portes à lui. Luigi De Donato prêtait sa belle voix de basse agile et mordante au bref rôle d'Orbazzano apportant sa pierre à l'édifice, comme ses collègues Anthea Pichanick (Isaura) et Alix Le Saux (Ruggiero), sans oublier la participation du Chœur de chambre de Namur.
Un inoubliable moment.
 
 
François Lesueur

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Rossini : Tancredi (version de concert) – Beaune, Basilique, 22 juillet 2017
 
 
Photo Teresa Iervolino © Victor Santiago

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