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Stravinski à Notre-Dame de Paris – Quand à la Messe répond le Sacre – Compte-rendu

Ce programme Stravinski, presque antinomique, promettait une Messe se voulant, selon l'intention même du compositeur, froide, linéaire, dépouillée, puis un Sacre du Printemps brûlant de mille feux. Promesse assurément tenue, mais sans nullement cantonner ces deux œuvres dans l'irréductible carcan supposé, bien au contraire.
 

Henri Chalet © DR
 
Composée à partir de 1944 en réaction aux messes de Mozart jugées doucereuses par Stravinski, qui leur reprochait une saveur trop théâtrale et rococo, la Messe fut paradoxalement créée, en 1948, à la Scala de Milan sous la direction d'Ernest Ansermet. Elle fait appel à un chœur mixte en dialogue avec un double quintette de vents, soit hautbois, bassons, trompettes et trombones par deux, plus cor anglais et trombone basse : d'un côté le Chœur d'adultes et cinq membres du Jeune Ensemble de la Maîtrise Notre-Dame de Paris ; de l'autre dix jeunes instrumentistes de l'Orchestre du Conservatoire de Paris, nouvelle étape d'une collaboration assidue entre les deux institutions.
 
Cette Messe en latin revêtit à Notre-Dame, sous la direction exemplaire de force, de clarté et d'esprit d'Henri Chalet, chef de chœur principal de la Maîtrise, une constante et communicative ferveur, jusqu'à un lyrisme radieux puisant souplesse et énergie dans la beauté et l'équilibre du chœur disposé en trois sections. Œuvre dense, aussi puissamment développée que suprêmement concise, où tout est dit, sans excès ni ascétique rétention de la matière musicale. Hors du temps, par le style comme par l'ampleur : l'exacte mesure de ce qu'il faut, à l'image d'une interprétation focalisée sur l'essentiel, une beauté intériorisée protégeant les mystères.
 

Shin-Young Lee © DR
 
À cette ferveur contenue mais vibrante, n'en déplaise à Stravinski, fit donc suite le Sacre du Printemps dans une version pour deux organistes d'après la partition pour piano à quatre mains du compositeur. Est-ce la hauteur, pour ne pas dire la distance, de la tribune du grand orgue de Notre-Dame, d'une esthétique instrumentale naturellement idéale pour restituer un tel monument, toujours est-il que l'œuvre sonna très différemment du Sacre entendu, par les mêmes interprètes : Shin-Young Lee et Olivier Latry (photo), en la cathédrale d'Angers à l'occasion du dixième anniversaire de la mort de Jean-Louis Florentz et du Concours d'orgue qui porte son nom (1), Sacre fascinant de présence immédiate.
 
La richesse de la palette de l'orgue de Notre-Dame permet d'éviter, pour qui sait écouter d'une oreille exigeante, l'écueil de la grandiloquence, promptement à l'œuvre sur un instrument d'une ampleur si considérable. Par une spatialisation encore plus subtilement distillée et distribuée, en raison même de la diversité des plans sonores et de leur projection, l'instrumentation s'y révéla plus que jamais un prodige de discernement et de sobriété, avec des illuminations sans nombre pour évoquer sans l'imiter les mille composantes de l'orchestre. Si rien, jamais, ne remplace l'original, cette version d'une intangible rectitude s'impose telle une œuvre pour orgue à part entière, telle une consolation pour l'ignorance dans laquelle Stravinski et quantité de ses contemporains ont tenu le roi des instruments. Lequel fait merveille non seulement dans la caractérisation et l'impact des timbres, mais aussi dans l'obstination de la pulsion rythmique, jusqu'à ces percussions d'une subjuguante force d'évocation, au prix d'une recherche que l'on imagine de longue haleine, inspirée. Si bien sûr le feu couve sous la cendre, le caractère brut de ces « tableaux de la Russie païenne » rejoint d'une certaine manière l'intention objective de la Messe, les interprètes ne s'autorisant la moindre effusion lyrique sans pour autant renoncer au chant pur, aussi « primitivement » entier soit-il. Un accomplissement, musical à travers l'instrumental.
 
Michel Roubinet
 
Paris, Cathédrale Notre-Dame de Paris, mardi 14 avril 2015
 
(1) Lire le compte rendu du 30 mai 2014 :
www.concertclassic.com/article/concours-dorgue-dangers-2014-hommage-jean-louis-florentz-compte-rendu
 
Site Internet :
 
Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris – concert Stravinski du 14 avril 2015
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/#!mardi-14-avril-2015---20h30-/ck60
 
 
Photo © D.R.

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