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Strasbourg - Compte-rendu : Deux rois pour une couronne


Le Don Carlos, que propose l’Opéra National du Rhin dans la mise en scène de Gustav Rueb, situe l’action dans les années cinquante. L’intérieur d’un pavillon de chasse sera le lieu fermé où les deux jeunes gens vont se rencontrer et vivre, en un bref instant, les sentiments qui changeront à jamais leur vie. Tout au long de l’action ne resteront que quelques éléments de ce décor qui rappelleront aux jeunes gens cet amour brisé. Dispositif intelligent qui place l’action dans un huis clos étouffant où la foule, reléguée à l’arrière plan, agira comme un chœur antique commentant l’action.

La partition choisie est la version de Modène de 1886 dans l’original français, option justifiée, car chaque fois que Verdi remodèlera sa partition il aura toujours devant lui le texte français, et dans cette époque où l’on se targue de revenir aux versions originales, Don Carlos, de même que les Vespres Siciliennes, devraient être donnés dans l’original français.

La distribution réunie à Strasbourg est dominée par deux artistes français qui, par leur talent et leur diction impeccable, ressuscitent les fastes de notre école de chant. Spectaculaire prestation de Ludovic Tezier, avec une voix de bronze doublée d’un timbre cuivré, il donne du Marquis de Posa une composition fine et racée, sa scène de la prison est non seulement un grand moment de théâtre mais aussi une véritable leçon de chant et de bon goût. Le Philippe II.de Nicolas Cavallier est rempli de majesté, la voix est somptueuse, l’intelligence de ce grand chanteur lui permet de faire passer toute la douleur qui habite ce roi torturé par la jalousie. Son air « Elle ne m’aime pas » vous arrache les larmes. Les quelques secondes de silences qui suivent son interprétation avant le déferlement d’applaudissement prouvent, si besoin était, la qualité du chant de cet interprète.

Malheureusement le reste de la distribution se situe un cran en dessous. Le Don Carlos de l’Américain Andrews Richard, dans un français correct, donne de l’air du premier acte une interprétation avec de suaves nuances, mais dès que le chanteur passe au forte, le timbre se durci, la justesse devient approximative, et la ligne de chant est mise en péril. L’Elisabeth de la Russe Natalyia Kolavova ne possède pas le vrai falcon que demande le rôle.
Comme beaucoup de ses consoeurs, la voix est trop acide pour donner au personnage la douceur souhaitée par Verdi. Malgré ces quelques défauts l’artiste est intelligente et se tire favorablement d’une tessiture redoutable.

La Princesse Eboli de Laura Brioli, après une chanson du voile chantée sans nuance, se rattrape avec un « Don Fatale » de belle facture. Insupportable Grand Inquisiteur de Sami Luttinen, dont la voix s’enroue au fur et à mesure de sa confrontation avec le Roi, et craque tous ses aigus. Thibault agréable et bien chantant de Suzanne Kirchesch.

L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg mené de main de maître par Marco Guidarini, qui, avec des tempos alanguis, fait sonner le pupitre de cuivres avec une justesse irréprochable et une chaleur sonore qui crée un climat angoissant sous lequel les cordes tissent un tapis soyeux. Malgré ces quelques petits défauts, une version française de Don Carlos que l’on retrouvera à la Filature de Mulhouse les 23 et 25 juin.

Strasbourg le 3 juin

B.Niedda.


Photo : DR

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