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Steve Reich par le Colin Currie Group à la Fondation Louis Vuitton - La musique sculpte le temps - Compte-rendu

Tout en volutes de verres, fermement arrimées au béton par le bois et l’acier, la Fondation Louis Vuitton est le lieu idéal pour accueillir la musique de Steve Reich, elle-même tout en boucles assises sur une solide pulsation. D’autant plus que l’auditorium, avec ses grandes ouvertures vitrées, rend bien justice à cette musique qui se déploie et se plie mal à l’enfermement dans une salle de concerts « traditionnelle ».
Confiée à l’excellent ensemble fondé par le percussionniste Colin Currie (photo), rejoint par l’ensemble Synergy Vocals, la programmation des trois concerts de ce week-end mêlait intelligemment les œuvres des « différentes phases » (pour reprendre le titre donné à la traduction française des écrits du compositeur) (1).

Steve Reich © Jeffrey Herman
 
Ainsi, après une première soirée autour de Drumming (1970-71), premier chef-d’œuvre de Steve, le premier concert du dimanche après-midi voyait se succéder Music for Pieces of Wood (1973), qui fait apparaître à nu des motifs se superposant jusqu’à remplir tout l’espace rythmique, puis Mallet Quartet (2009), où s’affirme la résonance, les accords, la mélodie même. Proverb (1995) pour voix, 2 vibraphones et 2 orgues électriques concluait ce concert. L’œuvre impressionne et émeut ; elle est emblématique de l’art de Steve Reich, qui sait magnifier un matériau et des processus a priori simples : ici, un aphorisme de Ludwig Wittgenstein (« How small a thought it takes to fill a whole life ! » [une petite pensée suffit à remplir une vie entière]) et le chant en canon des sopranos qui vient s’entrecroiser avec les mélismes des ténors. Mais il suffit que les vibraphones interviennent pour nimber miraculeusement l’harmonie, avant de retourner au silence qui entoure la voix de soprano de Micaela Haslam.
 
Le dernier concert confrontait le récent Pulse (2015), sorte d’épure alentie où les couleurs fondues des cordes (4 violons, 2 altos) et des vents (2 flûtes, 2 clarinettes) répondent à la pulsation ininterrompue du piano et de la basse électrique, à Music for Mallet Instruments, Voices and Organ. De son orgue électrique, Colin Currie donne à ses musiciens l’élan d’une musique à la fois vive et prenant son temps, où les rythmes, quoiqu’omniprésents s’effacent peu à peu derrière les timbres, eux-mêmes se diluant dans de nouveaux équilibres sonores. Plus de quarante ans après sa création, cette musique qui sculpte le temps du concert n’a rien perdu de sa force d’attraction.
 
Jean-Guillaume Lebrun

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(1) Steve Reich, Différentes Phases, Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 2016
 
Paris, Fondation Louis Vuitton, 3 décembre 2017

Photo Collin Currie © Marco Borggreve
 

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