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Stéphanie Paulet et Élisabeth Geiger à la Seine Musicale – Violon et clavier : la musique de Bach redistribuée – Compte-rendu

 

Le 20 janvier, pour fêter la sortie chez Paraty de leur CD Intuitions (1), Stéphanie Paulet et Élisabeth Geiger (photo) espéraient donner à La Seine Musicale un concert reprenant le programme de ce Bach revisité, suite naturelle de leur album Minoritenkonvent paru en 2015 chez Muso (2). Ce concert, nécessairement reporté, a finalement eut lieu le 9 juin à la Petite Seine (tandis que dans l'Auditorium se tenait le gala de fin d'année de l'Académie Jaroussky) : tout premier concert d'après-confinement pour les deux musiciennes. Bonheur de rejouer devant un public et d'enfin retisser le lien, non sans (motivante) appréhension, tant la suspension fut longue. Le public a répondu présent, et avec enthousiasme.
 
« L'élaboration de ce programme a été guidée par des envies d'expérimentation, de "re-lectures" de musiques déjà connues, de recherches approfondies des possibilités de nos instruments. Et quand ce programme approchait doucement de sa forme définitive, sont apparues en filigrane la profondeur émotionnelle de cette musique, et la lecture de certains écrits qui venaient confirmer par leur historicité notre démarche de transcriptions, au départ surtout intuitive. » Expérimenter non pas à la table, « en théorie », mais en jouant et en éprouvant toutes les possibilités de redistribution entre violon et clavier d'œuvres destinées à l'un ou l'autre, à des instruments tiers ou aux voix. Si dans l'absolu le résultat peut toujours évoluer, l'équilibre trouvé n'en constitue pas moins un véritable optimum de l'instant. Ce qui à l'écoute donne une sensation de fraîcheur pour une musique, ainsi agencée, jaillissant de son créateur comme de ses interprètes. Au disque, Élisabeth Geiger bénéficie de la riche palette de l'instrument, d'esprit XVIIe, érigé à Charolles par Quentin Blumenroeder. À la Seine Musicale, elle jouait un positif du même facteur (avec dessus de Principal, ce qui change tout), mais aussi, pour varier et contraster les timbres, la copie d'un clavecin franco-flamand à la sonorité ronde et épanouie, à la fois charpentée et élégamment enjouée.
 
Au cœur du programme, le violon accompagné ou non mais aussi les claviers. La Sonate en sol majeur BWV 1021 pour violon et basse continue ouvrait au concert (ainsi qu'au disque) l'expérimentation, la partie de clavier sur basse chiffrée, « comme improvisée », étant le fait d'Élisabeth Geiger – déploiement individualisé d'une œuvre sinon inchangée. S'ensuivirent, diversement et lumineusement redistribuées (orgue et clavecin alternant en dialogue avec le violon), quatre des Sinfonias pour clavier associées à deux pages célèbres : Wachet auf BWV 645 (Chorals Schübler) avec le choral en valeurs égales entonné par le violon, l'orgue conservant basse rythmique et harmonique et ritournelle ; Nun komm, der Heiden Heiland BWV 659 (Chorals de Leipzig), le violon restituant la mélodie ornementée. Ou comment suggérer en toute liberté et par d'autres moyens l'univers de l'orgue et celui de la cantate.
 
Le pari de la dernière œuvre est plus osé : la Partita pour violon seul BWV 1002 est soumise au même principe, en partant de l'original strict en ouverture : Allemande, par Stéphanie Paulet seule. À la différence des romantiques (dont Schumann) qui ressentirent le besoin de sous-tendre le cycle d'une partie de clavier, l'idée est ici de « redonner toute l'harmonie », ni redoublée ni dédoublée, mais partagée dans chaque danse et son double (orgue et clavecin alternaient de nouveau en regard du violon). Toutes les nuances de priorité furent alors proposées : de la primeur à l'un ou l'autre (au violon n'incombant pas forcément la voix supérieure, ainsi dans la Sarabande) jusqu'aux deux à égalité, dans l'esprit général d'un duo où chacun revêt une égale importance. Et la Partita de se refermer sur un rythme endiablé, Bourrée et son double, l'orgue faisant danser un piquant jeu de Régale. Le tout dans une acoustique clarissime mais sèche où rien ne vient habiller ou porter le son : on se rend alors compte que toute la matière sonore vient bel et bien des musiciennes, rehaussant ligne et articulation. En bis : Andante d'un allant nostalgique et chantant de la Sonate en trio n°4 pour orgue BWV 528, à la manière d'une sonate en trio chambriste, parfaitement et poétiquement convaincante.
Ce programme Intuitions, Stéphanie Paulet et Élisabeth Geiger le redonneront à Charolles (Saône-et-Loire), retrouvant l'orgue Blumenroeder du CD, le 6 août prochain (3).
 
Michel Roubinet

 
La Seine Musicale (Petite Seine), Boulogne-Billancourt, 9 juin 2021

 
Site Internet :
Stéphanie Paulet
stephaniepaulet.com
 
(1paraty.fr/stephanie-paulet-elisabeth-geiger/

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