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Spectacle Gillot/ Cunningham au Palais Garnier - La Symphonie des mille gestes - Compte-rendu

Puissante, avec sa large carrure, son style âpre et ses dégagés de jambes impressionnants, Marie-Agnès Gillot a imprimé sa patte sur le Ballet de l’Opéra depuis huit ans, date de sa nomination d’étoile. On l’aime ou on ne l’aime pas, mais on ne peut ignorer son Eurydice ou sa Médée. Une modernité à l’antique. Et surtout on ne peut négliger les prémices de ce qui semble annoncer une importante chorégraphe : car Sous apparence, qu’elle vient de créer à l’Opéra, pour sa première incursion créatrice sur sa scène familière, porte la marque d’une imagination riche et d’un talent d’occupation de l’espace déjà très abouti. Certes, il est plus facile de juxtaposer des états d’âme, des rêves et des instants de grâce ou de tension en un kaléidoscope d’images que de raconter une histoire, mais il y a là un climat un peu dada, une vraie intensité dans les évolutions à la fois parallèles et resserrées des danseurs, et une superbe utilisation de leur corps avec un art accompli du pas de deux, que Gillot a tellement pratiqué.

Elle est servie par ses camarades avec un engagement total, autour de l’exceptionnelle Alice Renavand, dévoreuse qui focalise l’attention du public par la beauté et l’intelligence de ses gestes, tandis que Vincent Chaillet domine le pari des pointes que lui a fait tenir Gillot, alors que les autres garçons ne s’y hissent qu’avec difficulté. Innovation de peu d’intérêt. Costumes piquants et drôles, légumes, arbres, ou collants et ficelles, sur fond, dans tous les sens du terme, de musique sacrée empruntée à Ligeti, Feldman et Bruckner, et dans les décors géométriques, très chics, d’Oliver Mossé. Une descente dans l’univers d’une femme profonde et d’une danseuse hors normes, qui pourrait bien prendre la suite d’une Carlson. Dans la fosse : Laurence Equilbey, aussi stricte qu’à l’accoutumée, avec son Choeur Accentus et l’Ensemble Ars Nova.

Le même Ars Nova que l’on retrouve ensuite, avec Philippe Nahon cette fois aux commandes. Il fut l’assistant de Marius Constant lorsque celui-ci dirigea ce Un Jour ou deux, véritable manifeste de la manière de Merce Cunningham, dont la création en 1973 à l’Opéra fut un événement marquant. Brigitte Lefèvre, qui vécut avec passion ce choc chorégraphique alors qu’elle était une toute jeune danseuse, le reprend comme un témoignage des bouleversements subis par la danse et le répertoire de l’Opéra au XXe siècle, lignée dans laquelle s’inscrit d’ailleurs la pièce de Gillot.

Le temps a passé, et le public est aujourd’hui plus attiré par le retour aux Ballets russes ou l’héritage d’une Pina Bausch, qu’au minimalisme américain. Mais on ne peut que s’émerveiller de la subtilité avec laquelle les danseurs engendrent peu à peu leur propre logique de mouvements, tandis que les bruits ténus, autrefois qualifiés d’incongrus - aujourd’hui on dit juste insipides- concoctés par John Cage, leur servent de fond sonore sans véritablement les accompagner. Hypnotisant ou soporifique, c’est selon! Chacun pour soi dans ces infinies variations de gestes, sans finalité sinon celle de parler du corps en mouvement.

C’est beaucoup et c’est si peu, tant le corps a à nous raconter d’autres choses que sa propre contemplation. Mais on comprend que pour des danseurs parfois las de pirouetter en pourpoint, l’aventure soit passionnante et gratifiante. Dire qu’ils sont magnifiques est faible, à commencer par Hervé Moreau, si longtemps en difficulté en raison d’une série d’accidents : il a retrouvé la perfection académique et graphique qui cisèle ses gestes.

Jacqueline Thuilleux

Spectacle Gillot/ Cunningham – Paris, Palais Garnier, 6 novembre 2012.

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Photo : DR
 

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