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Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris – Pointes en fête – Compte rendu

 

C’est désormais un rite que ce spectacle annuel, où les élèves de l’Ecole de Nanterre, après avoir montré leurs aptitudes techniques sous la houlette de leurs professeurs quelques mois plus tôt, foulent le plateau vénéré, et un rien pentu, vers lequel convergent leurs espérances. Il n’y a pas que des grèves et des foules épuisées sur le RER A, il y a aussi un flux de rêve et de sueur bénéfique sur cet axe reliant l’Ecole de Nanterre, créée par Claude Bessy et la Grande Maison de la Place de l’Opéra, où brillent les étoiles : un axe donc qui est un peu la voie sacrée de la danse parisienne !
 
Quand la syntaxe se fait poésie
 
Mais lors de ces spectacles que gère aujourd’hui Elisabeth Platel d’une main aussi subtile que ferme, on ne voit pas que de futures étoiles : s’y joue la survie du ballet classique, et comme on a coutume de le dire, néoclassique, c'est-à-dire qui se sert de la grammaire technique mise en place en des décennies de recherches physiques et esthétiques pour exprimer d’autres modes de pensée, plus libres et qui montrent combien la syntaxe peut se faire poésie.
Réjouissant, mais surtout admirablement conçu, pour donner quelques clefs de la base et de l’évolution des styles, et de grande difficulté, tel est le spectacle de l’année, dont on doit dire qu’il est particulièrement réussi, preuve que pour dévoyées qu’elles soient un peu partout, les racines du ballet classique tiennent bon : car les jeunes danseurs en piste ont montré un placé parfait, un équilibre et une virtuosité autant dans les sauts que dans les tours absolument superbes, et que les quelques petites fragilités décelées à la réception ou à l’arrêt n’en sont que plus touchantes car elles font prendre la mesure de l’enjeu.

 

Continuo © Svetlana Loboff

 
Elégance et mélancolie
 
Délicat, fin comme un voile doucement agité, le Continuo d’Antony Tudor, sur la musique de Pachelbel, entre donc au répertoire, et a permis d’ouvrir la soirée sur l’harmonie comme flottante des attitudes imaginées par ce grand maître anglais, né en 1908, et un peu oublié à ce jour. Dommage, car son art est comme une leçon savamment dosée d’élégance et de mélancolie. Idéal pour arracher les spectateurs à leur contexte et les faire pénétrer dans cette galerie aussi réglée qu’une estampe japonaise.

 

Fête des fleurs à Genzano © Svetlana Loboff

 
Comme un triomphe de la maîtrise du corps
 
Avec le fameux pas de deux tiré de la Fête des fleurs à Genzano, puis le Pas de six et la Tarentelle de Napoli , place à la joie de vivre, de bondir et de se confronter en délicieuses joutes, place aux couleurs, aux rubans et aux tambourins, place au Franco-danois Bournonville (1805-1879), incomparable maître à danser du XIXe siècle, dans sa base de Copenhague. Son écriture chorégraphique, tout en rigueur et en tenue dans le déploiement de la virtuosité, continue de façonner l’équilibre des attitudes, la géométrie des sauts, sans que jamais les épaules des garçons ne se soulèvent pour montrer l’élan pris, et témoigne, plus que d’un art de danser, d’un véritable art de vivre, comme un triomphe de la maîtrise du corps pour une meilleure tenue de l’esprit. Leçon psychologique autant que musculaire et qui n’exclut en rien le bonheur de danser, bien au contraire, comme en ont témoigné les virevoltantes petites joutes auxquelles se prêtent ces danses inspirées de fêtes villageoises. Un éclatant régal, qui a permis de juger du niveau atteint notamment par les élèves de deuxième et troisième divisions.

 
 

Sept danses grecques © Svetlana Loboff

Un sensuel hymne à la vie
 
Puis vint Béjart, et la danse devint culte, ode à l’univers, ode au vent et à la mer, tendue vers les plus vastes publics que l’art classique ait jamais trouvés, sur tous les gradins du monde : les Sept danses grecques, sur la musique de Theodorakis, sont un moment d’une prenante séduction qui fait basculer dans une approche bien plus sensuelle de la danse. Elles sont toutes simples d’apparence, se déroulent comme les bandeaux d’une  fresque, et par leurs pas cadencés ou onduleux, font de leur rythmique envoûtante, une sorte d’hymne à la vie. Béjart, jouant comme toujours de son apparente simplicité pour mieux faire tomber les barrières, y mit les garçons dans la plus belle tenue possible: pantalon blanc flottant et torse nu, ce qui leur donne des airs de Dionysos. Pour les filles, un maillot noir académique qui annihile le côté folklorique et élargit la portée de leurs mouvements. Ce fin chef-d’œuvre a de surcroît eu la chance d’être remonté par deux grands de Béjart, Juichi Kobayashi et Gil Roman, lequel fut son héritier et dirigea le Béjart Ballet de Lausanne jusqu’à l’an passé.
 
 

Maria Seletskaja © Kalev Lilleorg

Une ex danseuse à la baguette

Là aussi les jeunes danseurs de l’école ont dispensé une grâce immaculée, unis par la beauté que leur conférait leur art tout neuf. Preuve que sous la houlette de leur directrice, ils savent savourer leur dur travail. Citer quelques noms, comme ceux des étincelants Jeanne Larchevêque, Hadrien Moulin, Milo Mills et Achille Delaleu-Rosenthal est presque une injustice en regard de l’homogénéité de cette troupe au talent déjà accompli, qui faisait de la soirée un moment aussi précieux par sa qualité que festif par son ton. D’autant que face à l’orchestre de l’Opéra, la baguette était brillamment tenue par une cheffe qui s’y connaissait en entrechats, Maria Seletskaja (1), ex danseuse estonienne formée à l’école Vaganova de Saint-Petersbourg ! Le public n’a pas modéré son enthousiasme. 
 
Jacqueline Thuilleux

(1) www.harrisonparrott.com/artists/maria-seletskaja

Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris - Paris, Palais Garnier, le 29 avril 2025

Photo © Svetlana Loboff

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