Journal
Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris – Bonnes notes sur les bonnes portées – Compte-rendu
Que faire de ses mains ? Surtout quand l’on danse. Doivent-elles guider, amuser, charmer, dessiner dans l’espace ou marquer un domaine, doivent elles hésiter, onduler, équilibrer ou désaxer ? C’est à quoi répond l’extraordinaire pièce mi-baroque mi-contemporaine, d’Ores et déjà, qui signe d’une griffe d’or ce spectacle de l’Ecole de Danse inscrit par Elisabeth Platel dans le cadre du tricentenaire de l’Opéra de Paris. Une pièce due aux talents conjugués de Béatrice Massin, qui pose sur le baroque un regard subtil et étayé par une longue réflexion et Nicolas Paul, danseur de l’Opéra de Paris, et l’un des plus talentueux chorégraphes issus de la maison. Leur alliance, qui produisit ce petit chef-d’œuvre en 2013, pour les Elèves de l’Ecole, semble encore se resserrer, s’approfondir, lors de cette reprise.
Autour d’un grand cadre doré, regard sur le vide, regard sur soi-même et le temps qui vient, miroir de son propre devenir, de jeunes garçons passent, se croisent, déroulent leurs pas avec cette infinie élasticité qui donne son chic au baroque, et font de leurs mains délicatement tournées et contournées les instruments les plus fins d’une quête d’équilibre, d’une grâce légère et d’une recherche de positionnement dans l’espace. Jeu ou affirmation de soi, la porte est ouverte, avec une beauté que la musique de Rameau, extraite des Indes Galantes, magnifie de son ondoiement. La façon dont les danseurs choisis par Platel ont exalté cette fusion est absolument saisissante et leur jeunesse ajoute au trouble de cette œuvre intensément poétique et déstabilisante. On y a repéré notamment la silhouette pré-romantique, façon Watteau, du bel Enzo Cardix mais tous y sont d’une finesse rare.
Elisabeth Platel, on le sait, a à cœur de mettre les styles en parallèle, même si les ballets ne sont plus au goût du jour : intelligence du choix qui fait passer du baroque repensé d’Ores et déjà au classicisme épuré de Bournonville avec Conservatoire, de 1849. Cette suite de pas d’école autour d’une vague intrigue qui passe inaperçue tant on se plaît surtout à analyser la rigueur harmonieuse des pas, sans jamais que l’excès ou la performance trop visible ne vienne en altérer l’équilibre, est aussi, sous les couleurs d’un hommage à Degas, un rappel de l’identité de l’Ecole française. Aucune faille n’est ici admise et l’exécution de toutes ces variations impeccablement structurées demande aux jeunes danseurs une perfection technique à laquelle ils tendent de toutes leurs forces. Ils l’atteignent presque, même si certaines pointes sont parfois un peu vacillantes.
Quant au Deux Pigeons, de Mérante (1886), revu par Aveline (1923), sur la partition de Messager, c’est à toute une époque néoromantique de sensibilité bon enfant dans laquelle la danse s’était enfoncée à la fin du XIXe siècle, que remonte cette charmante bluette, pas si inoffensive qu’elle le paraît au premier abord, car derrière les minauderies charmantes des deux héroïnes, prototypiques, Gourouli et Djali, incontournable gitane d’une époque frottée d’exotisme, apparaissent des variations fameuses, du caractère, du brio, du piquant, qui doivent rehausser de trop sages effusions. Et cela permet d’y discerner des tempéraments, plus difficiles à faire émerger de cette littérature chorégraphique au charme suranné que de pièces contemporaines plus accrocheuses et plus frappantes. La toute jeune Clara Mousseigne, qui incarnait Gourouli, a montré notamment de très belles dispositions, même si son jeu de jambes doit prendre de la vitesse et du mordant. Pour une ballerine de quatorze ans, l’enjeu était plus que bien tenu.
Une fois de plus, la vivacité du présent, la permanence des valeurs du répertoire se sont enrichies mutuellement pour ces soirées marquantes en tous points. Quant à l’Orchestre de l’Opéra, qui ne se passionne pas pour ce genre de musique, il a pourtant suivi avec bonne humeur la direction presque joyeuse de Yannis Pouspourikas.
Jacqueline Thuilleux
Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris - Paris, Palais Garnier, 3 avril 2019
Derniers articles
-
03 Décembre 2024Alain COCHARD
-
03 Décembre 2024François LESUEUR
-
03 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX