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« Songs » aux Bouffes du Nord – Joyeuse mélancolie – Compte-rendu – Compte-rendu

Un remède à la mélancolie ? Prenez une bonne dose d’humour et de musique bien faite. Dans le cas de Songs (création dramatique à partir de musiques anglaises du XVIIe siècle) les pièces choisies – de Johnson à Peerson, en passant par Locke, Banister, Ramsey, Blow ou le jeune Purcell – sont de pures merveilles. D’autant plus qu’elles sont interprétées ici avec raffinement et sensibilité par l’Ensemble Correspondances (dir. Sébastien Daucé), portées avec puissance et élégance par la voix d’alto de Lucile Richardot (qui avait déjà illuminé ce répertoire avec Perpetual Night - CD Harmonia Mundi 2018).
 
Quand la bile noire envahit l’âme et le cœur, on peut s’enfermer dedans ou essayer de s’enfuir, et même… tenter de faire les deux, simultanément. C’est le cas de Sylvia (Sarah Le Picard – par ailleurs dramaturge du spectacle), le jour de ses noces. Quelque chose cloche et la paralyse. Sylvia parle à sa sœur Viviane (Margot Alexandre) : « J’y vais ? Oui, allez, j’y vais… Non attends je suis mal partie, à trois j’y vais… Un…, non attends, faut que j’aille aux toilettes ». Sylvia n’ira pas (à son mariage). Elle disparaît de sa robe de mariée, et laisse choir ses multiples et encombrants jupons blancs, comme une tortue quitterait sa carapace. La voici qui fuit aux toilettes pour mieux s’enfermer en elle-même. Le prologue achevé, le voyage introspectif peut commencer pour tenter de remonter à la surface, de rechercher la source de cette mélancolie maladive.

© Jean-Louis Fernandez
 
Ainsi se dévoile (littéralement) devant nous l’intériorité de Sylvia. Nous voici au cœur d’un atelier d’artiste – salon de musique, hors temps, où se déroule une autre noce imaginaire : des invités, les musiciens, Vivianne, sa sœur, transformée en bonne vivante clownesque à l’accent occitan et la mère (Lucile Richardot), dévastée et dévastatrice. Terre et gravier au sol (qui noircit les drapés immaculés du mariage ou du linceul), objets divers qui se figent dans une cire blanche qui rappelle le givre, comme autant d’archives de la mémoire de Sylvia. Est-ce la cire des rêves, des songes et autres fantômes ? Le spectateur est plongé dans un vrai faux bazar que la musique ordonne et ponctue avec l’exigence indispensable requise. Les comédiennes et instrumentistes s’agitent, motivés par la rudesse naïve et bienveillante de Viviane qui nous fait rire au milieu des éternelles dramatisations de sa sœur, et de la dépression chronique de leur mère (véritable Didon abandonnée).
« Ne le prenez pas personnellement », conseille Sylvia en distribuant au public des morceaux de – fausse ! – glace, qu’elle a auparavant brisée à la hachette… Bribes de sa mémoire ou de son cœur, vers nous tendus. On ne sait plus trop s’il faut rire ou pleurer. D’ailleurs, les mots viennent à manquer ou ne suffisent pas, acteurs et musiciens se mettent alors à chanter le Miserere de Charpentier… Musique et théâtre fusionnent.
 
Mis en scène par Samuel Achache (Lisa Navarro signe la scénographie), Songs est un spectacle attachant parce que vivant, joyeux, intelligent, qui traite une forme de tragique avec humour et tendresse dans un format intime, où théâtre et musique s’entremêlent avec amour. Tout le monde joue la musique et chante le théâtre. Peut-être touche-t-on ici le vrai baroque contemporain.
 A l’affiche des Bouffes du Nord jusqu’au 20 janvier, Songs sera bientôt repris à Quimper (21 et 22 mars) et à Tarbes (27 mars).
 
Gaëlle Le Dantec

« Songs » - Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 22 janvier 2019 ; représentations jusqu’au 20 janvier ( du mardi au samedi à 20h30) / www.bouffesdunord.com
 
Photo © Jean-Louis Fernandez

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