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Solstice tchèque - La Petite Renarde rusée à la Bastille et Mirandolina à Bobigny

L’Opéra de Paris se prend pour le Théâtre National de Prague en cette fin de saison. On ne s’en plaindra pas, le répertoire lyrique tchèque est trop peu présent dans l’hexagone, et limité d’ailleurs à la découverte tardive – mais enthousiaste - par le public français des chefs-d’œuvre de Janacek.

C’est justement La Petite Renarde Rusée dans la poétique régie d’André Engel qui se réinvite sur le plateau de Bastille où elle a enfin trouvé ces dernières saisons la fluidité technique que tant de scènes lui avaient refusées. Le prix à payer est pourtant, dans l’immensité du lieu, une dilution de son langage subtil. On craint un peu le Forestier de Jean-Philippe Lafont : il y faut un grand acteur, ce que le baryton français est assurément, mais aussi une philosophie panthéiste si délicate à exposer et que seuls jusqu’ici Rudolf Asmus et Thomas Allen ont su capturer. Une nouvelle Renarde, Adriana Kucerova, donnera la répartie à l’inoxydable Renard d’Hannah Esther Minutillo, Michèle Lagrange dessinera avec humour la trogne de la femme du garde et avec cette invraisemblable poésie naturaliste dont elle a le secret la Chouette la plus étrange qu’on ait croisée. Michael Schonwandt saura-t-il trouver les chemins de traverse de cette œuvre inclassable où brille l’orchestre le plus poétique de son auteur ?

Création en France, l’Atelier Lyrique donnera à la MC93 de Bobigny la Mirandolina de Bohuslav Martinu, sur un livret en italien déduit par le compositeur de La Locandiera de Goldoni. Selon les biographies officielles, Martinu aurait découvert la pièce lors d’un voyage à Florence à l’automne 1953, mais Alexandre Tansman nous avait confié que son confrère tchèque avait lu La Locandiera durant ses années parisiennes, et que dès 1922 il avait envisagé de la mettre en musique. Il composa l’œuvre entre Nice et Prague, alors que se dessinait déjà le projet de La Passion Grecque d’après Nikos Kazantsakis. Derrière son formidable orchestre et la contagieuse vitalité de son chant, Mirandolina est l’autre opus lyrique majeur de la maturité de Martinu, une partition à l’invention mélodique débordante, au tactus dramatique serré, certaine de ses effets mais n’en abusant jamais.

D’où vient que l’ouvrage ne soit jamais donné ? Les Tchèques l’ignorent à cause de son livret italien, à l’inverse le monde ne croit guère qu’un compositeur tchèque, même aussi cosmopolite que Bohuslav Martinu, ait pu réussir un opéra en italien (1).Chacun pourra vérifier l’extrême qualité de facture, d’inspiration, de rayonnement, d’une partition qui a tout pour intégrer le répertoire. Nul doute que les jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique lui donneront sa prodigieuse énergie, et que Marius Stieghorst inspirera l’Orchestre-atelier OstinatO qui aura fort à faire. On sait déjà que la mise en scène de l’impeccable Stephen Taylor sera aussi fidèle au tourbillon goldonien qu’à l’esprit de Martinu. Courrez-y, l’œuvre est simplement irrésistible !

Jean-Charles Hoffelé

1)Faisant amende honorable, l’éditeur phonographique national tchèque, Supraphon, a publié en 2004 la captation réalisée par la BBC au Festival de Wexford en 2002. C’est le seul enregistrement de Mirandolina, il est excellent et vous pourrez y apprivoiser l’œuvre avant de vous rendre au spectacle (un coffret de 2 CD Supraphon SU 3770-2 632)

Janacek : La Petite Renarde rusée - Opéra Bastille, les 25 et 28 juin, puis les 1e, 3, 6, 9 et 12 juillet 2010

Martinu : Mirandolina - MC 93, Bobigny, les 24, 26, 28 et 30 juin 2010

> Programme détaillé de l’Opéra Bastille

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Photo : Opéra national de Paris
 

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