Journal

Skip Sempé – Le goût de la liberté


Personnalité parmi les plus originales et attachantes de la planète baroque, le claveciniste Skip Sempé fait l’actualité à plusieurs titres. Peu après un passionnant CD/DVD Rameau, il signe un nouvel enregistrement intitulé « A French Collection », une merveilleuse anthologie du répertoire de salon parisien de l’époque des Lumières (1). Le mercredi 4 mars, il a par ailleurs rendez-vous avec le public de la Cité de la musique pour un « Hommage à Wanda Landowska » dans le cours du cycle « Visions du baroque ».



« Quand j’étais enfant se souvient Skip Sempé, j’ai été très impressionné par les enregistrements de Landowska et d’Horowitz. » Si on le connaît comme l’un des plus inventifs clavecinistes de la période actuelle, il faut rappeler que Sempé est venu à la musique par… la flûte à bec ! ; instrument qu’il étudia à la Nouvelle Orléans – sa ville natale - avec un élève de Brüggen et fréquenta de manière on ne peut plus sérieuse. En parallèle, la pratique du clavecin l’attirait toujours plus ; vers sa vingtième année, Sempé prit la décision d’abandonner définitivement la flûte pour se consacrer au clavier.



L’idée de faire quelque chose dans l’esprit de liberté, l’esprit rythmique et dramatique de Landowska ou d’Horowitz ne m’a jamais choqué.



Le musicien américain a par la suite travaillé auprès de Gustav Leonhardt, mais s’est bien gardé de tomber dans une imitation du maître, trop conscient qu’il était de tout ce qui les sépare : « Leonhardt est un vieil Européen calviniste avec un message très spécifique ; je suis issu d’une autre culture, catholique si j’ose dire, et les choses sont différentes. L’idée de faire quelque chose dans l’esprit de liberté, l’esprit rythmique et dramatique de Landowska ou d’Horowitz ne m’a jamais choqué. La liberté d’expression vient d’un choix très simple, d’une manière de penser. Il y a de l’information à transmettre ; pourquoi me retiendrais-je de le faire à ma façon ? »



Les récents CD Rameau et « French Collection » témoignent-ils d’un désir du fondateur du Capriccio Stravagante de se recentrer sur le clavecin ? « J’ai toujours été centré sur le clavecin », répond un musicien qui sait toutefois que le public (les ventes des disques en solo l’attestent) voudrait qu’il se produise plus souvent en récital… Avec son ensemble Capriccio Stravagante, Sempé n’a en effet jamais quitté le clavecin. « Etant donné que le Capriccio ne reçoit pas de subventions, confie-t-il avec réalisme, humour et franc parler, nous faisons attention aux finances et je ne vois pas l’intérêt d’embaucher un autre claveciniste pour faire le cirque de diriger avec les mains, ça ne m’intéresse pas ! Mon idée est d’avoir un ensemble, pas un bureau de huit, dix ou douze salariés à plein temps pour gérer mes activités en France et dans le reste du monde. »


Sempé se soucie plus d’entreprendre de belles aventures musicales avec ses partenaires. «J’éprouve une allergie terrible à une relation musicale qui n’est pas réciproque. Il y a des gens avec qui je ne travaille plus, mais quand j’ai collaboré avec eux c’était dans une totale réciprocité. Il faut que ça communique dans les répétitions, les concerts ! »


« Si l’on n’a pas de prétention de chef et le grand rêve de faire de l’opéra, la carrière demeure automatiquement modeste », reconnaît Skip Sempé. Mais les efforts ne sont pas vains : « tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant commence tout juste à faire école », reconnaît-il. Et les auditeurs d’apprécier une approche qui fait souffler un courant d’air pur sur un répertoire où d’autres ronronnent. Quant aux froncements de sourcils d’une certaine bigoterie baroqueuse, l’interprète n’en cure ! Il y verrait plutôt un encouragement…



Si l’on est engagé dans un travail artistique, l’imagination doit prendre la place qu’elle mérite : c’est ça qui fascine le public de toute manière.



Skip Sempé aime à citer le mot du claveciniste Albert Fuller : « La fantaisie précède le fait ». « C’est une manière de penser, commente-t-il, c’est dans la tête et dans la vie : il faut que cette idée soit installée dans la formation d’un musicien. Si l’on est engagé dans un travail artistique, l’imagination doit prendre la place qu’elle mérite : c’est ça qui fascine le public de toute manière. » Les valeurs sûres ? A ranger parmi « les c……. que l’on entend à droite et à gauche » ! « L’idée de valeur sûre est aberrante en musique classique, ce qui est sûr c’est que ça coûte une fortune, que ça n’en vaut pas le coup et que c’est ennuyeux. Valeur sûre = routine = ennui ! »



Quels conseils donnerait Skip Sempé à un jeune claveciniste s’il lui fallait résumer en quelques phrases l’art de toucher l’instrument ? « Le son et la résonance, la variété du toucher sont l’essentiel. Et puis, les mains ne doivent pas être ensemble car le son d’un clavecin n’est pas au maximum si les mains sont ensemble. La verticalité « lame de rasoir » juste pour dire que l’on est sérieux et que tout est en place ne vaut rien sur un clavecin. La verticalité n’est qu’un effet, elle ne peut à mon sens être le règle. C’est un toucher robuste et extrêmement résonnant qui m’intéresse. On peut toujours faire quelque chose de plus sec, martellato, ou détaché mais la beauté et la richesse du son sont les choses qu’il faut d’abord chercher car l’expression est dans le son. »



(Portrait réalisé à partir d’un entretien daté du 11 février 2009)


Alain Cochard


(1)Pour en savoir plus sur la discographie de Skip Sempé : www.paradizo.org.

A consulter également : http://stravagante.com/fr/skipsempe.html (où l’on trouvera de passionnants écrits de Skip Sempé)



Hommage à Wanda Landowska
Skip Sempé, clavecin et clavicorde
Œuvres de Lully, Chambonnières, Rameau, Mozart, Haendel, Couperin, Scarlatti, Chopin
Cité de la musique
Mercredi 4 mars – 20h



Réservez vos billets à la cité de la musique

Photo : DR

Partager par emailImprimer

Derniers articles