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Simon Boccanegra à L’opéra Bastille – Panne sèche – Compte-rendu

La croisière résolument mentale et volontairement statique à laquelle nous convie Calixto Bieito n'a pas pris, comme si Simon Boccanegra résistait à ces adaptations contemporaines vides de sens et privées d'émotions. Le subversif metteur en scène espagnol à qui l'on doit une Carmen, Un bal masqué ou un Don Giovanni corrosifs et saisissants, ne traite ici le sujet qu'à la périphérie, s'intéressant à ce qui n'est évoqué qu'en filigrane dans l'ouvrage, à savoir l'épouse défunte de Boccanegra, ancien corsaire devenu contre son gré Doge de Gênes.

© Agathe Poupeney-OnP
 
Débordé par un dispositif scénique envahissant, conçu par Susanne Gschwender, une gigantesque coque de navire placée sur une tournette sur laquelle viennent s'incruster d'immenses vidéos (Sarah Derendinger), Bieito tourne en rond comme ses personnages, qui se croisent, s'étreignent ou se défient sans jamais se regarder. Boccanegra, vareuse de cuir, mains dans les poches ressemble d'abord à un Gabin des docks, avant d'enfiler un costume trois pièces, de se gominer les cheveux et de chausser des lunettes de soleil, muré dans son nouveau statut de maître, filmé en temps réel sans bouger durant de longues minutes ...
 
Heureux de retrouver sa fille, mais brisé par la mort de sa femme dont le fantôme erre sur le plateau, dépoitraillé ou nue et recouverte de rats comme sur le rideau de scène exposé pendant l'entracte, Boccanegra termine son parcours usé et pitoyable écopant d'un bien inutile parkinson. Amelia, comme sa mère, erre telle une âme en peine, contrainte d'enjamber la carcasse du bateau-palais ou apparaissant cheveux en bataille et chemisier sorti de la jupe après sa tentative d'enlèvement, obligée de rester ainsi jusqu'au final ; présente sans jamais savoir ce qui vient de se dérouler à quelques mètres d'elle ...
Plantés comme des piquets, ou statufiés, les protagonistes n'ont aucune utilité si ce n'est pour être ridiculisés ou caricaturés comme le traître Paolo qui ne se défait jamais de son sceau-crachoir tenu à la main comme un encensoir !

© Agathe Poupeney-OnP
 
Difficile dans un contexte scénique si déprimant de défendre avec sincérité une interprétation. Après une prise de rôle remarquée (en concert à Monte-Carlo et au TCE en mars 2017), Ludovic Tézier malgré le trésor vocal qu'il délivre tout au long de la représentation, demeure figé, comme si son corps refusait d'adhérer aux propositions qui lui ont été faites. Espérons que l'Opéra de Gênes lui permettra dans quelques semaines d'incarner enfin le Doge.
Maria Agresta paralysée elle aussi, chante le rôle sans pouvoir y apporter sa patte, extérieure au propos malgré la partition souvent merveilleuse et le tapis sonore que lui déroule Fabio Luisi, chef de grande classe qui maintient la barre et le niveau très haut, contre vents et marées.
Francesco Demuro ne trouve pas en Gabriele un rôle épanouissant car sa voix plafonne et manque à plusieurs reprises de s'étrangler. Mika Kares possède les graves de Fiesco mais pas la plénitude escomptée dans l'aigu. Nicola Alaimo est celui qui met le plus de cœur à l'ouvrage, apparemment convaincu de la mise en scène, ou capable à la différence de ses collègues, de s'en extraire pour faire exister son Paolo. Chœurs et seconds rôles efficaces.
 
François Lesueur

Verdi : Simon Bocccanegra - Opéra de Paris Bastille, 15 novembre ; prochaines représentations les 21, 24 et 28 novembre, 1er, 4, 7, 10 et 13 décembre 2018 / www.concertclassic.com/concert/simonboccanegra
 
Photo © Agathe Poupeney-OnP

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