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Session de composition à Royaumont - Instantanés de la création - Compte-rendu

Âgés de vingt à trente-deux ans, les quinze compositeurs invités de la 24e session de composition « Voix nouvelles » ont bénéficié, pendant les trois semaines de leur résidence à l'Abbaye de Royaumont, des conseils de trois compositeurs chevronnés : Brian Ferneyhough (né en 1943), initiateur de la manifestation en 1990, était cette année entouré de Fabien Lévy (né en 1968) et Oscar Bianchi (né en 1975), tous deux anciens stagiaires ici-même.

Première constatation : nulle uniformité de style ne prévaut entre ces compositeurs venus de quatre continents (seule l'Afrique n'est pas représentée), avec des propositions allant du plus classique – Iceworm, un quatuor avec piano du Britannique Michael Taplin – au plus expérimental – le très conceptuel Convolutional Emergence pour violon et percussion de l'Iranien Arash Yazdani, qui relève plus du laboratoire que de la salle de concert – en passant par des formes plus proches de l'improvisation (Herákleitos I du Mexicain Samuel Cedillo) . Ces œuvres assez brèves (d'une durée moyenne d'une dizaine de minutes) montrent le plus souvent de belles qualités d'écriture et une fréquente recherche en terme d'associations instrumentales, bien servies par l'interprétation de l'excellent Namascae Lemanic Modern Ensemble, dirigé par son chef William Blank, ainsi que par deux jeunes stagiaires de la récente académie de direction d'orchestre qu'a tenue à Royaumont le chef Peter Eötvös.

Quatre œuvres ont plus particulièrement attiré l'attention : Introspección de Carolina Cerezo Dávila, benjamine du concert, qui a su tisser entre les instruments et la voix de la soprano Angèle Chemin un discours plein de raffinement et de mystère. L'Italien Zeno Baldi crée avec Cantor Dust (pour basson, cor, trompette, trombone, percussion et contrebasse) une musique aux contours changeants, qui n'est pas sans parenté avec celle de son aîné Enno Poppe. Le Mexicain Juan de Dios Magdaleno a quant à lui livré la pièce la plus aboutie formellement : ...canto cósmico... pour baryton (Benjamin Alunni, remarquable), flûte et percussion déploie toute une série de variations sous forme de miniatures enchaînées où l'écriture, minutieuse, est sans cesse renouvelée. Enfin, Eunho Chang, compositeur coréen installé en Pologne, s'est attiré succès public en étant le seul à jouer la carte de l'humour en musique avec Le Café, un duo pour deux sopranos (Angèle Chemin et Hélène Walter) aux effets un peu caricaturaux mais écrit avec une incontestable virtuosité.

Après ces quinze créations, Royaumont offrait encore deux découvertes à l'occasion d'un concert de l'ensemble Linéa (photo), grand animateur des sessions de composition lors des saisons précédentes. Au programme : la première française de Liber scintillarum (« Le livre des étincelles »), œuvre récente de Brian Ferneyhough, qui a fêté en janvier ses soixante-dix ans. L'œuvre, écrite pour six instruments poussés à leurs limites – le violoncelliste aborde la pièce avec une cadence d'une incroyable virtuosité –, est une merveille d'écriture brillante, changeante, où la complexité rythmique porte l'avènement d'une continuité et d'une clarté paradoxales.

Ce concert portait également un regard sur l'un des chefs-d'œuvre de la deuxième moitié du XXe siècle, le Kammerkonzert (« Concerto de chambre ») de György Ligeti : Jean-Philippe Wurtz dirige cette partition de 1970 en insistant sur la richesse des timbres. L'ensemble Linea se joue de la complexité polyphonique de l'œuvre, exemplaire de précision mais se refusant à se montrer par trop mordant, dans le troisième mouvement, qui y perd un peu de sa folie mécanique.

La révélation du concert résidait cependant dans la première œuvre, une création de l'Américain Alex Mincek (né en 1975), commandée pour Royaumont comme une « relecture » du Kammerkonzerti de Ligeti. Employant pour son Chamber Concerto le même effectif que son aîné, Alex Mincek livre une œuvre très personnelle, abondante de couleurs, extrêmement dynamique et qui révèle peu à peu de subtiles connexions avec la musique de Ligeti, en particulier par cette transparence qu'il parvient à tirer de massifs agrégats sonores. Là encore, la qualité des musiciens de Linea et leur parfaite entente sous la direction de Jean-Philippe Wurtz sont plus qu'évidentes.

Jean-Guillaume Lebrun

Abbaye de Royaumont, samedi 14 septembre 2013. La Saison musicale de Royaumont festival se poursuit jusqu'au 6 octobre.

Site :
http://www.royaumont.com/fondation_abbaye/Saison_musicale_2013.2672.0.html

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Photo : Agathe Poupeney
 

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