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Septembre musical de Montreux - Tout de même au paradis - Compte-rendu
C'est amusant d'entendre du Schubert dans un auditorium dédié à Stravinski. À celui qui reprochait à la musique de Schubert de l'endormir, Stravinski avait répondu : « peu importe que je m'endorme, je me réveille au paradis ». Avec le programme de fête conçu par Yannick Nézet-Séguin pour le Philharmonique de Vienne (à moins que ce ne soit l'inverse), on ne risquait pas de s'endormir. Après la méditation symphonique des Offrandes oubliées de Messiaen, savamment mise en miroir avec deux Nocturnes de Debussy, c'est l’ « Inachevée » de Schubert - en lointain écho à l'enregistrement de Kleiber gravé en 1979 par la phalange allemande - qui sert de hors-d'oeuvre aux agapes symphoniques. L'équilibre entre le tapis de cordes mouvementé et le solo de hautbois mélancolique compose une merveille de simplicité qu'on ne se lasse pas d'écouter avec des musiciens d'un tel niveau. La luxuriance des cordes et les traits de cor sont un bonheur constant comme la qualité du dialogue entre les pupitres, prouvant une fois de plus la maestria de ce qui reste un des meilleurs orchestres au monde.
On est en revanche un peu moins convaincu par la direction de Yannick Nézet-Séguin. Si le chef québécois fait preuve d'une évidente sensibilité, prenant manifestement plaisir à diriger en totale empathie un pareil orchestre (comme on le comprend !), sa direction comme sa battue ne semblent pas dépasser celles d'un spectateur privilégié. En choisissant un tempo un peu lent lors du premier mouvement, il semble toujours à l'écoute et à la suite d'un orchestre certes rutilant, mais ne dépassant pas le plaisir de la performance. Les sursauts fortissimo du deuxième mouvement manquent singulièrement de contraste et de souffle tragique (toute le contraire de Kleiber) même si les timbres ne laissent pas d'émerveiller. C'est un peu le même sentiment qui nous gagne à l'écoute du Daphnis et Chloé de Ravel. La Danse guerrière apparaît plus flamboyante que véritablement guerrière. Là encore, le propos et l'autorité font défaut. Mais l'apogée est enfin atteinte avec une flûte solo virevoltante prodigieuse de nuances et de phrasé, annonçant un sublime Lever du jour. L'orchestre, tout en contrastes, embraye sur des tutti de toute beauté et, comme Stravinski, on se réveille au paradis...
C'est avec le tout jeune Denis Kozhukhin, 1er Prix du Concours Reine Elisabeth en 2010, qu'on y retourne le lendemain. Le premier mouvement de sa Sonate n°59 de Haydn est solide et enjoué comme du Brendel avec une malice qui n'exclut pas la plus extrême concentration. Encore un peu tendu pour déployer en un seul souffle les variations du long Adagio, Kozhukhin, sans doute dérangé par les incidents survenus dans la salle du château surchauffée, n'en affiche pas moins un chant gracieux, admirablement pensé. Il se surpasse encore dans la superbe Sonate n°1 de Brahms, trop rarement jouée. La polyphonie, la puissance, le toucher, tout y est. Une mélodie qui pleure, des graves tonitruants et un contrepoint cristallin à l'aigu, le premier mouvement, chahuté en diable, passe en un souffle. Conviant aussi bien l'intimité que la majesté, il faut entendre avec quel phrasé, quelle intelligence, quelle pureté il conduit l’Andante, avant un Finale au souffle beethovénien. À l'évidence cette musique est faite pour lui.
Sans doute moins celle de Liszt : la deuxième partie du récital, consacrée à sept des douze Etudes d'exécution transcendante, n'atteindra pas le même bonheur. Semblant un peu trop pressé d'en finir avec la technique étouffante que réclament ces monuments pianistiques, il les débite avec brio, certes, mais sans la part de méditation et la hauteur de vue qui faisait sa grâce chez Haydn ou Brahms. Reste qu'à 25 ans, Kozhukhin est déjà un pianiste passionnant. À l'évidence un talent à suivre.
Luc Hernandez
Montreux, 10 et 11 septembre 2011
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