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Satyricon et Le Journal Vénitien à Nancy ; Rédécouvrir Maderna

Compositeur, chef d’orchestre, pédagogue, Bruno Maderna (1920-1973) fut l’une des figures de proue de la création contemporaine de l’après-guerre. Vénitien à l’instar de Luigi Nono – son cadet de quatre ans -, disciple de Malipiero, l’artiste découvrit le dodécaphonisme en 1948 grâce à Hermann Scherchen et s’engagea dès lors dans une voie qui devait en faire l’un des musiciens les plus en vue de l’école de Darmstadt – cité qu’il fréquenta à partir de 1951 et où il se fixa de 1963 à sa disparition dix ans plus tard.

Musicien d’une grande curiosité (on lui doit même une réalisation de l’Orfeo de Monterverdi !), Maderna dépensa beaucoup d’énergie pour la défense de ses contemporains. Revers de la médaille, on se souvient souvent plus aujourd’hui du chef d’orchestre épris de la musique de son temps que du créateur…

L’Opéra de Nancy et de Lorraine a eu l’heureuse idée d’inscrire au programme de sa saison, en coproduction avec l’Opéra des Flandres, un programme réunissant deux réalisations tardives de l’artiste italien : Le Journal Vénitien et Satyricon. Rapprochement on ne peut plus logique que celui d’ouvrages qui s’appuient tous deux sur la faiblesse de l’humain soumis à la tentation.

En 1972, Maderna s’est souvenu du climat libertin qui régnait dans sa cité natale au XVIIIe. Ville cosmopolite, polyglotte, éprise de plaisir (s), Venise nourrit son Journal Vénitien inspiré des mémoires d’un voyageur anglais : James Boswell. Les mœurs sont bien différentes à Londres et à Venise… et c’est de ce contraste que se nourrit un opéra conçu pour ténor, orchestre et bande magnétique.

«[Il] est, par sa date, le père du roman latin et, si l’on excepte les épopées, le père du roman tout court. Il est aussi, et de beaucoup, le plus réussi des romans grecs et latins : par sa drôlerie, son invention toujours rebondissante, la peinture vivace des caractères et des mœurs, le style croustillant sans être grossier, ou chaque personnage parle selon sa condition », écrivait Henry de Montherlant à propos du « Satyricon ».

Est-il besoin d’ajouter que l’ouvrage de Pétrone a fournit une extraordinaire matière à un compositeur dont l’ouvrage, comme le souligne le chef d’orchestre Lucas Pfaff, « mêle allègrement citations et collages (Bizet, Kurt Weill, Wagner, Offenbach, tango, valse, etc.) autour d’un texte chanté, parlé, déclamé en quatre langues, constitue l’une des plus délicieuses et raffinées pâtisseries musicales que l’on puisse déguster. »

« Tutto nel mondo è burla !» : a-t-on envie de s’exclamer à l’instar de Falstaff lorsque ce referme le Satyricon, partition inclassable et déroutante du fait de sa structure ouverte – elle se compose en effet de 19 numéros interchangeables.

On attend avec curiosité de découvrir le travail du metteur en scène Georges Lavaudant dans des décors de Nicky Rieti. Les voix Nigel Robson (Journal Vénitien et Satyricon), Sally Burges, Valérie Florencio, Corinne Romijn, Wolfgang Abliger-Sperrhacke, Frans Fiselier, Astrid Bas, la baguette de Lucas Pfaff à la tête de l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy sont les protagonistes de cette production nancéenne. Une occasion de redécouvrir un compositeur nommé Bruno Maderna – ou de le découvrir, tout simplement ! (1)

Alain Cochard

(1) Rappelons qu’un enregistrement du Satyricon sous la direction de Sandro Gorli à la tête du Divertimento Ensemble est disponible chez Naïve-Montaigne ( 1 CD MO 782174).

Photo : DR
 

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