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Sandrine Piau en concert au Théâtre des Champs-Elysées – Leçon baroque – Compte-rendu

Sandrine Piau seule en scène, pas vendeur ? Et bien si, et devant une salle comble encore ! Seule, pas tout à fait puisque notre délicieuse soprano française était accompagnée par le Kammerorchester Basel, formation baroque suisse de très haut niveau, dirigée par la violoniste Julia Schröder. Constitué majoritairement d'airs d'opéras de Haendel et de raretés signées Domenico Sarro et Tomaso Albinoni, le programme était émaillé de plusieurs concerti du XVIIIème siècle italien (un vigoureux concerto pour trompette de Giuseppe Torelli interprété avec éclat, puis un virtuose concerto pour violon de Lorenzo Gaetano Zavateri brillamment joué par Julia Schröder et ses instrumentistes, durant la première partie ; deux ouvrages inspirés, de Laurenti et Torelli, au cours de la seconde).
 
Centre de gravité de ce concert, la voix de Sandrine Piau, belle comme un astre au milieu de la nuit, homogène, souple, transparente et toujours aussi acrobatique. Après un premier air d'Eraclea d'Albinoni accompagné à la mandoline, chanté à fleur de lèvre avec des accents d'une grande poésie, la cantatrice s'est mesurée sans faiblir à l'écriture de Sarro (« Per abaterre il mio core » de Partenope), engageant un étourdissant échange de vocalises avec trompette obligée. Très attendue dans l'Alcina de Haendel qu'elle vient d'aborder avec succès à Bruxelles, Sandrine Piau a merveilleusement interprété « Ah mio cor », puisant dans cette musique lourdement mélancolique l'expression de l'âme torturée de la magicienne. Soutenue pas une ligne de chant raffinée, une extrême sensibilité et une infaillible musicalité, cette poignante lamentation marquée par une magnifique reprise da capo, sur le souffle, a plongée le public dans un état second qui ne s'est pas démenti par la suite.
 
Autre temps fort de la soirée « Ombre pallide », avec son long récitatif où Alcina tourmentée convoque les esprits pour garder Ruggiero à ses côtés : tout y était en place, contrôlé, habité, puissant, parcouru de spasmes, l'aria directement enchaîné nous montrant une artiste au sommet de sa technique, de son inventivité, capable de traduire l'angoisse de la trahison sans jamais reprendre son souffle, alternant vocalises et aigus au gré de variations éblouissantes.
 
La douce Ariana in Creta, « Son qual stanco pellegrino », et la véhémente Armida « Furie terribili » (Rinaldo), permettaient enfin à la soprano de présenter deux aspects opposés de sa personnalité avant de revenir enchanter son auditoire avec deux nouvelles pages de Haendel : « Lascia ch'io pianga » (Rinaldo) d'abord, subtilement conduit et orné de la plus belle manière, puis le virevoltant « Tornami a vagheggiar » dévolu à l'espiègle Morgana (Alcina). Un déluge d'applaudissements clôturait naturellement ce concert inoubliable.
 
François Lesueur
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 13 avril 2015

Photo © S. Expilly

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