Journal

Samson et Dalila en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées – Alagna et Lemieux versent l’ivresse – Compte-rendu

L’opéra en version de concert a ses vertus, surtout lorsqu’une partition telle que Samson et Dalila est programmée. Sans décors, ni costumes, ni temple, le spectacle est là. Roberto Alagna a trouvé un rôle digne de sa voix et de sa diction parfaite. On avoue avoir craint au démarrage qu’il ne force un peu trop. Mais l’inquiétude se dissipe très vite, laissant la voix s’épanouir et s’installer dans ce rôle exigeant. Le ténor français, qui campe déjà le chef des Israëlites sur la scène de la Wiener Staatsoper depuis un mois, retrouvera ce rôle sur la scène du Met dès la rentrée. Au TCE son jeu (car il en introduit une part dans cette version de concert), parfois un peu sommaire, voire légèrement maladroit, donne une fragilité sincère au personnage alors que la voix rayonne et s’impose avec évidence, composant un Samson habité et émouvant.
 

Roberto Alagna © Studio Harcourt - DG

Marie-Nicole Lemieux (photo) réussit ses vrais débuts dans le rôle de Dalila, grande prêtresse de Dagon ; la chanteuse affiche une solidité et surtout une musicalité hors du commun. La voix est riche d’une palette de nuances qui renforce l’ambiguïté du personnage : tantôt vénéneuse, tantôt amoureuse, cruelle, tendre, vengeresse… On ne l’attendait pas dans ce personnage complexe ; il lui sied à merveille. L’ivresse est à son comble lorsqu’elle entame l’intense « Mon cœur s’ouvre à ta voix… ». L’interprétation prouve, une fois de plus, que ce n’est pas seulement l’ambitus de la voix ou le fait « d’avoir toutes les notes » qui permet d’endosser un rôle de cette ampleur.
 
Il fallait un Grand Prêtre à la mesure des deux personnages principaux. C’est le cas avec Laurent Naouri, qui compense quelques faiblesses vocales (quelques notes détimbrées) par un jeu puissant et une présence dramatique qui donnent à son duo vengeur avec Dalila de l’Acte II une rare profondeur.
Les rôles secondaires sont parfaits : Alexander Tsymbalyuk en Abimélech, le « jeune » vieillard hébreu de Renaud Delaigue, le frais messager de Loïc Felix, les deux philistins de Jérémy Duffau et Yuri Kissin.
 
L’Orchestre National de France joue dans son jardin : lyrisme des cordes, beauté enchanteresse des solos de flûte, hautbois, clarinette, vivacité des cuivres et des percussions, tous accordés à la direction efficace, mais pas toujours assez nuancée de Mikhail Tatarnikov (repéré l’an dernier dans La Fille de neige à Bastille).
Le chœur de Radio France, protagoniste central de ce grand opéra aux allures de péplum, est en excellente forme, visiblement bien préparé par sa nouvelle directrice musicale Martina Batič. L’émission est précise et homogène, du style fugué imitant les grands oratorios du XVIIIe siècle aux murmures printaniers et séducteurs des philistines.
 
Seule une distribution hors du commun peut offrir ce chef-d’œuvre avec crédibilité en version de concert. De la solitude du héros, à l’intimité brûlante des duos, de la profusion orchestrale au grand chœur, tout ce monde, à égalité sur scène, permet à l'auditeur de goûter au plus près la musique, dans sa chair, dans sa moelle même.
Standing ovation finale : méritée !
 
Gaëlle Le Dantec

logo signature article

Saint-Saëns : Samson et Dalila (version de concert) – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 16 juin 2018
 

Photo © Denis Rouvre

Partager par emailImprimer

Derniers articles