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Saisons russes du XXIe siècle au TCE - Le Coq d’Or - Juste à point - Compte-rendu

Stupéfiant de penser que juste après avoir monté le Sacre du Printemps, Diaghilev offrait aux parisiens le jubilatoire Coq d’Or, rutilant de ses couleurs éclatantes, de son caractère chromo et des envolées délicieuses de la musique de Rimski-Korsakov, certes moins provocante que celle de Stravinski. La guerre n’était pas loin, tandis que les spectateurs, grisés d’orientalisme et de robustesse slave par les tumultueuses saisons des Ballets russes, se laissaient séduire par la saveur du conte drôlatique tiré de Pouchkine pour le dernier opéra de Rimski-Korsakov, lequel ne le vit jamais, puisque la censure russe ne lui permit pas de le faire représenter. Le compositeur y montrait un tsar ridicule et incapable.

Et c’est donc sur ce formidable divertissement aux couleurs de châle russe que s’achève aujourd’hui, près de cent ans après sa mise sur les tréteaux par Diaghilev, la saison anniversaire du Théâtre des Champs-Elysées. Après les sombres cérémonies sacrificielles célébrées autour de l’autel stravinskien par Nijinski, Pina Bausch ou Akram Khan, voilà une coda savoureuse et bon enfant, à déguster comme un enfant léchant sa glace.

Car Andris Liepa, Directeur de ces Saisons Russes, a voulu ici, grâce à la troupe du Théâtre Natalia Sat de Moscou, retrouver toute la richesse exubérante des couleurs et des tracés de Natalia Gontcharova, amenée à Paris par Diaghilev pour cet événement. Et un très important travail de reconstitution a permis de redonner existence à cette vision forte et naïve qui est un régal pour les yeux. Et retrouver une âme de gamin russe, même si à ce jour la portée satirique de l’opéra nous laisse assez froids. Comme Diaghilev l’avait voulu, la présentation joue sur une double dimension : celle des chanteurs, confinés sur les côtés de la scène à des rôles statiques, en tenue de ville contemporaine comme s’ils racontaient l’histoire, et celle des danseurs qui occupent totalement le terrain, en costumes éclaboussants et volontairement criards. Une grosse bouffonnerie mêlée de langoureux intermèdes orientalisants comme Rimski-Korsakov savait les tisser. Que la reine de Chemakha chante son terrible air de séduction, aux périlleuses vocalises, ou que son double danse, ce ne sont qu’ondulations et volutes qui se marient intimement. On a regretté dans un premier temps l’absence de surtitres, mais l’histoire est si simple et parlante, la présence de la danse si forte, que lever les yeux vers un texte aurait nui à l’intérêt porté aux danseurs. Ceux-ci sont servis par la chorégraphie simple et vivante de Gali Abajdulov, dont on regrette qu’il n’ait pas donné plus de style et d’originalité aux évolutions de la reine.

Mais contrairement aux dessins de Gontcharova, il ne reste malheureusement à peu près rien de la chorégraphie de Fokine. Si, pour les spectateurs à la fois médusés et charmés par cet ovni, aux antipodes des modes actuelles, le spectacle s’est déroulé comme une mise en vacances, il n’en est rien pour les interprètes, tous excellents, même si l’on a regretté l’absence de la frappante Ilse Liepa, blessée, qui eût pu donner à la reine beaucoup plus d’intensité. Excellents chanteurs donc que ceux de la troupe du Théâtre Natalia Sat, beaux danseurs, dont un très jeune Dodon, Oleg Fomine, grotesque à souhait, et un formidable Coq, Pavel Okounev, de surcroît orné d’un superbe costume d’oiseau, chose difficile à réussir. Orchestre survitaminé par la jeune chef moscovite Alevtina Joffe - un rien trop tout de même, car si les marches triomphales comme celle qui ouvre le 3e acte y gagnent, la séduction orientalisante perd au contraire de sa douceur et de son charme. Assurément, avec des airs de premier degré, ce spectacle délicieux a montré la finesse d’un travail de longue haleine et l’identité d’une troupe que nous ne connaissions pas. Encore un coup - d’éclat - des Ballets Russes !

Jacqueline Thuilleux

Saisons Russes du XXIe siècle / Le Coq d’Or – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 9 juillet, prochaines représentations les 10, 11 & 12 juillet 2103

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Photo : Valeria Komissarova
 

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