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Rudolf Noureev au Palais Garnier – Un album un peu fané – Compte- rendu

Noureev est mort en janvier 1993. Et bien mort. Pas d’anniversaire à fêter, donc, sinon puiser dans le gros coffre à joujoux chorégraphiques que sa direction de la maison y a laissé. Une véritable OPA sur le ballet classique, disait Pierre Bergé. On ne s’en plaindra pas, même si nombres de ses relectures sont sujettes à caution, par le caractère surchargé de leur style, à l’exception de quelques réussites plus intéressantes comme son Lac des Cygnes et sa Cendrillon façon Hollywood. A environ un mois avant la Bayadère programmée pour occuper les balletomanes durant le mois des fêtes, et qui fait toujours salle comble, Aurélie Dupont a eu l’idée de lancer sur scène quelques duos qui constituaient les meilleurs moments de ce répertoire.
 
dotothée gilbert paul marque

Dorothée Gilbert & Paul Marque © Svetlana Loboff - OnP

Mais hélas, dans la conjoncture actuelle, voir ces couples s’élancer passionnément sur le noir bout de scène qui leur est dévolu au dessus de la fosse pour vivre des instants passionnels vidés de leur sens donne un étrange sentiment de gâchis en regard du peu d’émotions qu’ils procurent, sinon le plaisir de voir s’enchaîner arabesques et pirouettes, avec des trajectoires forcément limitées vu l’exigüité des lieux. Incontestablement, dans le programme baptisé Etoiles, donné en alternance, des pièces comme Gnossiennes de Satie, Suite of dances ou Lamentation de Martha Graham, s’adaptaient beaucoup mieux à cet espace devenu chambriste, tandis que le pas de deux de La Dame aux Camelias de John Neumeier, extirpé de son contexte, y avait perdu l’essentiel de sa séduction écorchée.

Et pourtant, que de belles performances, que d’élans chez ces danseurs impeccables qui ont tout donné pour remplir cette difficile escarcelle, quel plaisir d’apprécier l’éclat et la parfaite tenue de Dorothée Gilbert dans Casse Noisette, malgré la trop grande réserve de son partenaire Henri Marque, quel brio dans les difficiles portés du piquant Cendrillon costumé par Hanaé Mori, surtout lorsque c’est la charismatique Alice Renavand qui porte le diadème emplumé de la star tandis que le beau Florian Magnenet campe un Rudolf Valentino tout à fait plausible. Quant aux échanges brûlants de Roméo-Mathias Heymann, et de la virevoltante Myriam Ould Braham, comme une plume entre ses bras, on commençait à ne plus trop y croire, malgré la fougue des interprètes.
Et, puis, quelles que soient les circonstances, les pas de deux de Noureev se ressemblent tellement avec leur violence tournoyante et tarabiscotée. Alors qu’une inclinaison de tête de Robbins donnerait du sens à n’importe quel geste anodin…Privée de son lac, de son magicien, de ses compagnes, la reine des cygnes, même incarnée par la frémissante Amandine Albisson, avait du mal à faire partager son drame, tandis que la robuste Valentine Colasante tirait son éventail du jeu en incarnant une Kitri de Don Quichotte plus violente que piquante.
 

Mathias Heymann © Svetlana Loboff-OnP

Restera le souvenir d’un instant magique, triomphant du lieu, du manque de décors, du tintamarre de la bande enregistrée, avec la folie de Manfred, incarnation du plus effréné romantisme, jetés sur scène avec une brûlante intensité, un désespoir prenant par le jeune premier danseur Francesco Mura. Cheveux en bataille, il ressemblait à l’inspirateur de la soirée, qui le créa en 1979, et bondissait comme un cheval fou. Seul en scène, il pouvait tout y donner, et encore peu connu, il avait tout à prouver. Il l’a fait et bien fait.
 
Soirée mélancolique et frustrante, donc, malgré quelques instants de grâce. Et pourtant, il est bon que ces étoiles continuent de briller comme si rien n’était. Ils doivent en souffrir encore plus que le public. On les en remercie.  
 
Jacqueline Thuilleux

Rudolf Noureev - Paris, Palais Garnier, 22 octobre ; prochaines représentations, les 26, 28, 30 octobre 2020 // www.operadeparis.fr/saison-20-21/ballet/rudolf-noureev 

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