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Roméo et Juliette sous la direction de Valery Gergiev au Festival Berlioz 2019 - La part de l’héritage - Compte-rendu

Valery Gergiev fait son apparition au Festival Berlioz ! Cette grande première revient à l’initiative de Bruno Messina, l’entreprenant directeur du festival, qui offre enfin à ce chef qui n’a cessé de diriger Berlioz l’occasion d’œuvrer in situ, si l’on peut dire. Il vient avec ses forces du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, chœur et orchestre, ainsi que les solistes. Au programme : Roméo et Juliette, « symphonie dramatique avec chœurs, solos de chant et prologue en récitatif choral » inspirée de Shakespeare.
 
En l’espèce, comme il en est quasiment de tout le répertoire de Berlioz, Gergiev renoue avec la tradition historique russe, quand on sait les deux exécutions intégrales de sa symphonie que Berlioz avait données, avec le plus grand succès, à Saint-Pétersbourg en 1847 lors de son premier voyage en Russie. Et la tradition s’est maintenue, depuis le Groupe des Cinq qui se revendiquera du compositeur. Gergiev est d’une certaine manière porteur de cet héritage, lui qui dirige de par le monde les plus grandes œuvres Berlioz (dont Les Troyens et Benvenuto Cellini). Son interprétation en témoigne qui sait allier connaissance et stricte restitution.
 
© Bruno Moussier
 
C’est ainsi que ce Roméo et Juliette présenté dans l’auditorium provisoire du château de La Côte-Saint-André conjugue un allant sans temps mort – une symphonie qui avance implacablement au long de ses sept parties – à une forme d’intériorité. Élégante et dépouillée de tout effet, la battue du chef (avec petit bâton, dans le style du bâton avec lequel Berlioz dirigeait) sculpte au plus près l’entrelacs fouillé de chaque mesure, dans une façon de respect qui confine à l’autorité, depuis un Prologue nimbé de délicatesses à un Final éclatant dans toute sa splendeur.
 
Yulia Matochkina expose ses stances initiales d’un chant diaphane auquel ne faillit pas l’expression. Grande mezzo assurément. Le petit scherzetto aérien à la charge du ténor revient à un Alexander Mikhailov bien posé. Dans son « récitatif et air » jusqu’à son « serment final de réconciliation » (cet appel à l’amitié entre les peuples dont Berlioz est coutumier, ici hors de Shakespeare) la basse Mikhail Petrenko se projette avec l’ampleur de circonstance. Le chœur réagit en phase, vibrant dans ce final ou léger (dans le « Convoi funèbre » ou « la Nuit sereine », passage dont on aurait toutefois aimé qu’il soit en coulisses). Et tous, d’une excellente élocution française, étonnante chez ces Russes.
 
L’orchestre, disposé façon XIXe siècle, violons 1 et 2 de part et d’autre, s’affirme démultiplié dans ses différentes options (en dépit d’une acoustique parfois mal maîtrisée dans ce lieu inhabituel pour cette formation), diaphane dans le Scherzo de la reine Mab, saisissant dans les soubresauts de Roméo au tombeau. Berlioz tel qu’en lui-même, transmis par les garants d’une tradition plus que séculaire.
 
Pierre-René Serna
La Côte-Saint-André, auditorium provisoire du château, 28 août 2019
 
Photo © S. Barral-Baron
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