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Roméo et Juliette de Boris Blacher au Théâtre de la Croix-Rousse – Séduisante découverte – Compte-rendu

Moins connu que nombre de ses contemporains (on pense à Carl Orff), le compositeur Boris Blacher (1903-1975) compte pourtant parmi les des figures marquantes de la musique allemande du XXe siècle, au même titre que Hindemith. Il faut saluer l’initiative du Théâtre de la Croix-Rousse qui, en coproduction avec l’Opéra de Lyon, ressuscite son opéra Roméo et Juliette (1943), un ouvrage minimaliste composé dans les Alpes autrichiennes alors que l’artiste était ostracisé par le régime nazi.

En trois parties (d’une durée totale de 75 minutes), facile à représenter et proche de l’esprit de la musique de tréteaux chère à Stravinski dans L’Histoire du Soldat, l’œuvre convoque neuf instrumentistes, six chanteurs, une diseuse, resserrant l’histoire des amants de Vérone autour des moments forts de la pièce de Shakespeare. Dans cette mise à nu, la poésie, le rêve, le fantastique (La Reine Mab), se donnent libre cours, privilégiant les sentiments humains bien que la violence soit implicite.

Trois cents élèves et lycéens de l’agglomération lyonnaise assistaient à la première d’un spectacle d’une indéniable efficacité monté avec peu de moyens mais d’une grande puissance suggestive. La mise en scène de Jean Lacornerie (par ailleurs directeur du Théâtre de la Croix-Rousse) saisit toute la dimension ludique et légère d’une musique qui regarde plus vers le style français de l’entre-deux guerres que du côté de l’esprit germanique.
 

© Bertrand Stofleth

Dans un décor de cave poussiéreuse, les jeunes chanteurs du Studio de l’Opéra de Lyon sont mis à contribution non seulement sur le plan vocal, mais aussi théâtral, voire chorégraphique. La scénographie de Lisa Navarro rappelle l’ambiance du cabaret berlinois chère à Brecht et Weill avec piano bastringue ; un immense œil obturé partiellement par une lentille mobile permet aux personnages de se déplacer aisément sur le plateau. Pour conclure, une photographie d’une ville en ruines rappelle le souvenir de Berlin en 1945.
 
Interprétation remarquable du Roméo de Tyler Clarke, présence assurée aux côtés de la Juliette de Laure Barras, voix bien projetée mais trop vibrante dans les aigus. Les personnages secondaires (Tybalt de Robert MacFarlane, Lady Capulet d’Alix Le Saux, le Capulet/Benvolio de Thibault de Damas) témoignent de la qualité du travail effectué au sein d'uns structure que dirige actuellement Jean-Paul Fouchécourt. Belle prestation en solo de Sophie-Nouchka Wemel et plus encore de l’expérimentée April Hailer en Diseuse dont le travestissement rappelle celui de Marlène Dietrich dans L’Ange bleu.
La formation de chambre de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon sous la direction souple de Philippe Forget donne à la musique toute sa saveur, puisant dans les sonorités les plus subtiles le grain et la couleur d’une texture instrumentale raffinée, claire et économe de moyens.
 
Une représentation à marquer d’une pierre blanche qui témoigne de l’inventivité de la programmation du Théâtre de la Croix-Rousse et apporte en même temps une contribution majeure à la connaissance d’un créateur injustement oublié.
 
 
Michel Le Naour
 
Lyon, Théâtre de la Croix-Rousse, 23 février, prochaines représentations les 26, 27, 28 février et 1er, 3, 4 mars 2015 / www.concertclassic.com/concert/romeo-et-juliette-de-blacher
 
Photo © Bertrand Stofleth

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