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Robbins face à Matts Ek au Palais Garnier - Le choc de deux mondes - Compte-rendu

En 1991, les étoiles de l’Opéra reprenaient un ballet de Jérôme Robbins antérieur de ving-deux ans, Dances at a gathering : ils avaient nom Dupond, Guérin, Pietragalla, Loudières, Legris, Lormeau, Romoli, et les autres. Leur subtilité, leur charme faisaient de ce moment un envol impalpable, porté par la musique de Chopin que Robbins pénétrait de son intense intelligence. Valses et Mazurkas, une Etude, un Nocturne, et la poésie aiguë naissait de ces couples frôlés, esquissés, aux limites de l’affrontement poli, tout un quadrillage délicat et incisif. En 1969, Robbins y avait poursuivi sa tentative d’habiller la musique de Chopin : en quatre épisodes, dont le premier fut l’hilarant The Concert, en 1956, et devait se poursuivre en 1970 sur In The Night, le plus beau, pour se conclure sur un duo Makarova-Baryschnikov avec Other Dances en 1976. On voyait alors à quel point le chorégraphe de West Side Story, ô combien américain dans sa rythmique, son allure, et son apparente décontraction, puisait en fait à la source des Ballets russes, puisqu’il connut Fokine, dont il dansa d’ailleurs Petrouchka.

L’expressivité des mouvements, creusés, décryptés par le chorégraphe qui veillait alors au grain, n’avait jamais rien de gratuit. Tout s’imposait, comme une trajectoire intime faite des plus ténues ou des plus vigoureuses pulsions de l’âme. Un rêve de fluidité. Mais le temps a passé, Robbins est mort, et si nos danseurs sont aujourd’hui des virtuoses accomplis, ils sont surtout, et cela éclate dans cette recréation, des jeunes gens de l’an 2012, nourris de Mats Ek et de Forsythe, qui évoquent plus qu’ils ne semblent ressentir cette fusion avec une musique très loin d’eux. Au cœur d’un romantisme violent prôné par Noureev ou d’un classicisme académique, ils retrouvent le bon chemin. Mais rêver, comme le poète des Sylphides, dont Dances suit les traces, ne leur est pas facile. On a donc applaudi l’application et l’élégance de Claire-Marie Osta, de Nolwenn Daniel ou d’Agnès Letestu, mais sans quitter terre, tandis que Nicolas Le Riche, bouillonnant, et Mathieu Ganio, beau à damner une Sylphide, éclaboussaient heureusement la scène de leurs apparitions.

Changement d’horizon radical, bouleversement total avec Appartement de Mats Ek, fait pour le Ballet de l’Opéra en 2000. Au bataillon, des aspirateurs, un bidet, un bébé grillé dans une cuisinière, une télé et son fauteuil obligé : bref un fatras qui pourrait paraître pure provocation si Mats Ek, avec sa chorégraphie bourrue, violente et si humaine, ne faisait passer ces incongruités en vérités incontournables. Et pour les danseurs, ce type d’expression semble comme une libération, à commencer par Marie-Agnès Gillot, si difficilement crédible dans les rôles classiques en raison de son physique puissant et de sa technique âpre : elle est ici dans sa gamme d’expression favorite et s’y montre exceptionnelle, comme à l’accoutumée. Humour, drame du quotidien, poésie de la chose humble, voilà qui convient mieux à MM. Bullion, Carbone ou Chaillet.

Même si Dances at a gathering date de 1969, en fait il baigne dans une rêverie début de siècle, nourrie de réminiscences romantiques: un vrai siècle sépare les deux œuvres affrontées dans ce spectacle, et cela se sent un peu trop, au détriment de la première.

Jacqueline Thuilleux

Robbins/Ek – Paris, Palais Garnier, 21 mars, prochaines représentations les 27, 28, 30 et 31 mars 2012 (à 14h 30 et 20h le 31 mars)

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Photo : Sébastien Mathé / Opéra national de Paris
 

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