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Rienzi à la Deustche Oper de Berlin - Une relecture inégale - Compte rendu

A la faveur d’un remaniement calendaire, les représentations de Rienzi et Jenuufa ont été inversées. Jouer le 20 avril, jour de l’anniversaire d’Hitler commémoré sous le Troisième Reich, l’opéra préféré du dictateur, s’est révélé être un cas de conscience pour une partie du personnel de la Deustche Oper. Quand bien même refermer le cycle de représentations de cette reprise le 30 avril, date du suicide du chef nazi, peut laisser perplexe. D’autant que la production de Philipp Stötzl calque sur l’argument de l’opéra de Wagner le film d’Olivier Hirschbiegel avec Bruno Ganz, La Chute, narrant les derniers jours du régime hitlérien.

L’action se passe justement dans un bunker, au granit massif. Pendant l’ouverture, Rienzi, assis à son bureau, jubile devant un écran sur lequel est projeté en noir en blanc un paysage alpin avant que le figurant enchaîne des cabrioles aussi grotesques qu’irrésistibles. Irene, la sœur du héros, ressemble à Eva Braun et les étendards à la gloire du tribun détournent la calligraphie en usage dans la propagande nazie. Le traitement parodique de ce funeste héritage peut être interprété comme un début de guérison de l’inconscient collectif d’une nation qui l’a longtemps ressassé, tout en éclairant la fascination d’Hitler pour le modèle oratoire que constituait sans doute à ses yeux Rienzi.

Bien que trahissant passablement les intentions du roman de Bulwer-Lytton dont s’est inspiré Wagner, le concept convainc dans la première partie de la soirée – les deux premiers actes. Les trois derniers sont, certes, plus bavards, et exigent des coupes, dont les sutures s’avèrent ici parfois maladroites. Le spectacle peine alors à se renouveler et se résume à une servile imitation du film. Le plateau, surélevé, laisse apparaître le quartier général du dictateur en prédelle, piégé dans une caricature que l’on croirait empruntée à Chaplin.

Inégale, la direction de Sebastian Lang-Lessing pèche par une certaine inconstance rythmique, regrettable dans la scène finale, précipitée et frustre. Nous ne nous attarderons sur les imprécisions des pupitres, en particulier des cuivres. Dans le rôle-titre, d’un constant héroïsme, anticipant Tannhäuser, Torsten Kerl tient la comparaison avec son aîné René Kollo, dont le disque garde la mémoire, et démontre que la puissance vocale ne se résume pas à une question de format – même si la vaillance se relâche dans la seconde partie. Manuela Uhl fait une Irene à la blondeur acidulée idiomatique tandis que Daniela Sindram a les atours idéaux pour le rôle travesti d’Adriano. Ante Jerkunica compose un Colonna à l’autorité plus moelleuse que l’Orsini un peu court en legato de Krzysztof Szumanski. Lenus Carlson chante un cardinal Orvieto quelque peu trémulant. Clemens Bieber réserve de beaux éclats à Baroncelli, dans le registre des hérauts wagnériens.

Très sollicités, les chœurs, préparés par William Spaulding, assument la relative grandiloquence d’un ouvrage méritant davantage que le mépris dans lequel on tient « le meilleur opéra de Meyerbeer ». En dépit de ses maladresses, la présente production renouvelle l’actualité de Rienzi, encore opera non grata à Bayreuth comme sur les scènes françaises. Le Capitole de Toulouse y remédiera à l’automne prochain, grâce à Jorge Lavelli.

Gilles Charlassier

Wagner : Rienzi, der letzte der Tribunen – Berlin, Deutsche Oper, 21 avril 2012. Prochaine représentation le 30 avril 2012.

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Photo : Bettina Stoess
 

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